Consentir ne nous protégera pas

Écrit le 10 février 2021, ce texte réagit aux discussions médiatiques et politiques sur le viol des mineures par les hommes. Il va de soi qu’un homme ne peut pas avoir de relation sexuelle avec une fille, qu’il s’agit forcément d’un viol, mais une définition du viol par l’absence de consentement est forcément creuse et ne nous protégera jamais.

Si une personne prend une photo de moi sans mon consentement, elle a quand même pris une photo de moi. L’acte n’a en rien changé avec l’absence de mon consentement. L’acte est par contre devenu répréhensible : la personne n’aurait pas dû prendre une photo de moi. Selon les circonstances et la situation je pourrais même porter plainte.

Une torture consentie n’en reste pas moins une torture. Avec ou sans consentement, l’acte est tout aussi répréhensible. Ce n’est pas le consentement qui fait la différence. La torture est mauvaise en elle-même, indépendamment des circonstances : en fait, celles-ci ne peuvent qu’aggraver la torture.

L’absence ou non de consentement ne devrait donc faire une différence que lorsque l’acte en question n’est pas intrinsèquement mauvais. Une photographie a priori ne blesse personne, sauf dans certaines circonstances : la notion de consentement est donc pertinente.

Dans les deux cas, par contre, le consentement n’a jamais modifié la définition de l’acte. Le consentement n’a pas vocation à dénaturer. Il ne fait qu’indiquer l’accord de la personne recevant l’acte. Alors pourquoi le consentement créerait la différence entre viol et sexe ?

À ce point-ci, l’arnaque devrait déjà être limpide. Mais peut-être un pas théorique en arrière pourrait être utile. La juriste états-unienne Catharine MacKinnon est une des grandes critiques de la notion de consentement. Le consentement dérive surtout des théories politiques sur l’État : notre consentement (comme par hasard toujours tacite) à l’État rendrait celui-ci légitime. Non seulement, le rapport de force est clairement inégalitaire, il est aussi difficilement vérifié voire même vérifiable. De la même manière, nous donnons de manière routinière notre consentement aux nouveaux Léviathan — une image utilisée pour rendre compte de la gigantosité des États — les GAFA sans vraiment être d’accord ni avoir même une véritable chance de pouvoir dire non (la seule manière selon Michela Marzano de donner une validité au « oui »). Le sexe définit par consentement admet le déséquilibre entre les deux sexes, sans rien faire pour le contrer. Il présuppose, poursuit MacKinnon, que les hommes font le premier pas et les femmes n’avons que le choix de dire « oui » ou « non ». (Et si « non » veut toujours dire « non », « oui » peut vouloir dire « non »). Il n’y a aucune mutualité dans le consentement alors que cette notion devrait être systématiquement mise en avant lorsqu’on parle de sexe ; le consentement est forcément asymétrique. D’ailleurs, on qualifie parfois le consentement de « mutuel » ou « éclairé » en admettant que seul, celui-ci est dépourvu de ces deux caractéristiques. C’est lors du procès que la violence du consentement se fait éclatante. « Alors ma chérie, tu as consenti ou pas ? ». La victime est investiguée, pas l’homme. On ne regarde pas s’il a abusé de sa position, s’il l’a dupée, s’il savait très bien qu’il n’aurait pas dû mais qu’il l’a fait quand même, s’il l’a minimisée, s’il l’a haït et brisée alors qu’il disait qu’il l’aimait.

On nous ment. On se moque de nous.

Si le consentement n’a pas vocation à transformer la nature d’un acte, pourquoi prétendre qu’il peut faire la différence entre sexe (bon) et viol (mauvais) ? Comme dit au début, le consentement ne devrait être pertinent que lorsque l’acte n’est pas intrinsèquement mauvais. Le viol est intrinsèquement mauvais. Sauf que trop souvent sa nature répréhensible est perçue comme l’absence de consentement. Avec le viol donc, le consentement nous pousse dans une définition circulaire : nous sommes condamnées au sur-place.

Le viol est en plus défini par pénétration uniquement parce que celui-ci est l’acte suprême pour les hommes. Pas pour les femmes. Le viol réduit à la pénétration ne peut rendre compte du sentiment de violation et d’annihilation qu’une main insistante, qu’un regard humiliant, qu’un geste blessant peuvent provoquer chez une femme. Si les lois masculines établissent différents degrés de gravité dans la violence sexuelle ce n’est pas uniquement parce que celle-ci est endémique et protéiforme : c’est avant tout pour se laisser une marge de manœuvre.

Comment rendre sens de ces propos dans le cadre du débat actuel sur l’âge de consentement des mineures ? Bien sûr, je me dois de saluer toute initiative dans le bon sens, habituée comme je suis à me délecter des miettes. Merci messieurs d’avoir pensé à moi, je vous en sais gré. Mais messieurs j’aspire au plat. Et j’ai très faim. Une faim comme seule une femme peut en avoir.

Treize ans. Pourquoi treize ans ? Pourquoi avoir d’abord accepté un seuil de non-consentement en-dessous de treize ans ? Parce que treize ans c’est la puberté. C’est l’âge des menstruations. La différence sexuelle jusqu’à alors minime et inconséquente devient soudainement si tangible. À ce propos, au lieu de se focaliser sur un aspect du sexe (les parties génitales), il vaudrait mieux rendre compte de la différence sexuée en parlant de menstruantes et spermiques comme le soutient Liliana Ricci : deux réalités commensurables qui rendent le mensonge du changement de sexe éclatant. Bref, en Patriarquie, à treize ans une fille devient femme. Si vous pensiez comme moi que RF signifiait République Féministe, vous voilà tout aussi troublées de découvrir qu’il s’agit en réalité de République Fallocrate — la réforme orthographique est passée par là aussi, c’est comme girafe ou farmacie [1]. Avant la puberté, les filles et les garçons sont des enfants. Un enfant, en Patriarquie est assimilable à une femme. C’est pour cela par exemple que les garçons jusqu’à un certain âge vont dans les toilettes des femmes avec leurs mères car celles des hommes sont un territoire dangereux. Un enfant (au masculin faussement neutre) est donc en proie aux hommes. Même s’ils resteront vulnérables jusqu’à l’âge adulte, à la puberté, les garçons changent de camp. Nos sénateurs savent tout cela. Ils l’ont vécu.

Quinze ans. Pourquoi quinze ans ? Pourquoi avoir remonté le seuil du non-consentement à quinze ans ? Plus simple cette fois, à cause du tollé des treize ans. Peut-être aussi que c’est communément à partir de quinze ans qu’on considère qu’une fille est en âge de procréer. L’autre question qu’on doit se poser est : Pourquoi soudainement une fille devient majeure sexuellement à quinze ans alors que pour être majeure politiquement elle doit attendre ses dix-huit ans, en séparant une énième fois les deux ? Avant même d’être citoyenne, la fille française peut être violée.

Une majorité légale est notamment là pour responsabiliser les individus. Mais ce n’est pas parce qu’on est responsable de ses actes que nous ne souffrons plus de ceux d’autrui. La possibilité de faire ses propres choix et d’en assumer les conséquences ne rend pas la violence subie moins douloureuse. De la même manière que ce n’est pas le consentement qui peut faire la différence entre sexe et viol, l’âge ne peut pas faire d’un préjudice un bénéfice. Si la prostitution est mauvaise, elle l’est à quarante-sept ans, elle l’est à treize. Comme dans le cas de la torture, les circonstances ne peuvent qu’empirer le cas, pas l’alléger.

Dernière question : Pourquoi le consentement ne fait son apparition que lorsqu’on parle des filles ? Pourquoi avons-nous une loi sur le viol qui ne mentionne même pas le mot « consentement » et soudain nous tergiversons sur l’accord d’une fillette de quatorze ans ? En fait, non, je n’en ai pas fini avec mes questions. Pourquoi n’introduisons-nous pas plutôt une loi contre l’écart d’âge [2]? Les hommes savent très bien à quel gâteau ils n’ont pas le droit de toucher. « À peine légale » (Barely Legal) est un grand succès pornographique. Ne sommes-nous pas dégoûtées par un homme de quarante ans qui « sort » avec une très jeune femme de dix-huit ans ? Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Nous les femmes sommes forcées à pourchasser les lois pour remplir les lacunes. Pour démontrer que la légalité ne fait pas le droit. Que les lois ne sont pas toujours justes.

Et dans notre RF, si férue des lois qu’on pourrait en faire du papier peint pour couvrir un « pied-à-terre » de 200 m² Rive Gauche, qui est encore là pour croire que les lois des femmes seront jamais appliquées ? Le sexe n’est pas qu’une catégorie naturelle, c’est aussi une catégorie politique. Quand le magistrat, l’avocat, le policier, le juge sont des hommes qui y croit encore ?

Les hommes se moquent des femmes.

Yağmur Uygarkizi


[1] Non, bien sûr il n’y a rien de tout cela, pas la peine de me le signaler. Pareil pour la nuance sur la citoyenneté, majorité, etc., pas besoin de me le signaler. 
[2] Bien meilleure que celle de maintenant qui laisse toujours une chance aux lycéens de traîner autour de collégiennes. La galanterie s’apprend jeune dans notre pays.