Mémoires de luttes, l’héritage d’Andrea Dworkin

Une émission de radio intitulée « Le porno peut-il être éthique? » est passée il y a peu sur les ondes. La question était posée le plus sérieusement du monde, y étaient convié.es entre autres une réalisatrice de « pornographie féministe », Olympe de G., qui se targuait d’essayer de faire une pornographie « qui fasse du bien » tant aux spectateurs qu’aux acteurs. La « pornographie féministe » serait-elle la nouvelle ligne de défense des pornographes ? Le puissant lobby de la pornographie, qui ne semble pas craindre les oxymores, la met en avant, comme il l’a fait autrefois aux Etats-Unis avec la liberté d’expression pour mieux légitimer ses profits. La stratégie des pornographes a bel et bien évolué, elle consiste à prétendre se soucier du plaisir féminin, qu’en est-il ?

En 1986, Andrea Dworkin, écrivaine et militante féministe, était entendue en tant que témoin par la commission sur la pornographie du Ministre de la Justice, elle avait décrit ce qui se passait dans la pornographie d’alors, en se basant sur des témoignages de survivantes. Elle raconte comment de véritables viols y étaient déjà filmés et vendus, elle dénonce le racisme de la pornographie, les actes de torture qui y étaient perpétrés, l’humiliation des femmes dans cette industrie. Elle dit la vulnérabilité de ces femmes, souvent d’anciennes victimes d’inceste ou fugueuses captives de proxénètes. Elle pointe l’utilisation de la pornographie par les clients de prostituées, ou à des fins de harcèlement. Pour préciser le contexte, les années 70-80 ont vu le succès de magazines comme Playboy ou Hustler qui ont joué un rôle très important aux niveaux économique, culturel et légal dans la fondation du marché de la pornographie. Que dirait Andrea Dworkin de la pornographie actuelle? D’après Gail Dines, la pornographie constitue maintenant un problème de santé publique majeur. Des actes inhumains et dégradants comme l’éjaculation faciale, le gagging (étouffer une femme par fellation), les pénétrations multiples et simultanées sont monnaie courante dans la pornographie accessible gratuitement en ligne. La majorité des scènes de films pornographiques comportent des actes de violence sexiste physique ou verbale à l’encontre des femmes. La pornographie véhicule des stéréotypes archaïques sur celles-ci et contribue à propager la culture du viol. D’autre part, Dines constate une plus grande perméabilité entre la pop culture et la porn culture, il n’est pas rare de voir parfois des actrices pornographiques sur des médias grands publics, ce qui contribue à populariser les messages diffusés par la pornographie. Un des plus grands studios de pornographie, Vivid Entertainment, dont les revenus sont estimés à 100 millions de dollars par an, se veut le représentant de l’aspect le plus acceptable de la pornographie, tandis que la catégorie dite « gonzo » produit des films beaucoup plus proches de la torture filmée. Les constatations de Dworkin dans les années 80 ne peuvent qu’être confirmées, la pornographie est plus déshumanisante que jamais.
Dworkin plaidait pour que la pornographie soit considérée comme une atteinte aux droits humains, une atteinte aux droits civiques des femmes et soit qualifiée d’exploitation systématique d’un groupe en raison de son sexe. Elle se battait pour que la parole des survivantes soit entendue, et qu’il en résulte des politiques sociales ainsi qu’une législation des droits civiques afin de combattre ce fléau. Elle a pointé les similitudes entre la pornographie et la traite, l’esclavage, elle a qualifié de torture, de traitement cruel, inhumain et dégradant les pratiques sexuelles dans la pornographie. Son analyse se révèle aujourd’hui terriblement juste et actuelle, à l’heure où la pornographie est encore plus violente qu’elle ne l’était à l’époque, son message de révolte doit nous inspirer dans la lutte pour la dignité.

Christine

Cet article a été publié dans le journal #53 d’Osez le Féminisme ! Ce numéro contient tout un dossier sur le système pornocriminel. Il est accessible suivant ce lien, même si vous n’êtes pas adhérent.e : https://osezlefeminisme.fr/journal/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *