«Libérer les opprimées de « leur » inconscient»

L’objectif d’une psychanalyse serait d’aller au delà du moi qui parle et agit sans savoir exactement ce qu’il fait, pour laisser parler l’inconscient, qui traduit la vérité, le désir objectif du sujet. Mais l’inconscient psychanalytique est profondément sexiste et phallo-centré. Selon la théorie psychanalytique, tout tourne autour du « sexe» , avec un double sens, sexe biologique et sexualité. Tout se structure plus précisément autour du phallus: Les hommes tirent ferté et gloire de leur phallus, les femmes désespèrent de ne pas en avoir (castration) et se détestent pour cela.

L’inconscient institue un ordre hiérarchique dans lequel les femmes et les filles sont inférieures et doivent être traitées comme telles. Leur inconscient leur dit qu’elles «aiment ça », la soumission à l’ordre phallique, et qu’elles provoquent et demandent les violences qu’elles subissent. Cette théorie légitime et naturalise les violences sexistes, les agressions sexuelles en les présentant comme des fantasmes masochistes de l’inconscient féminin: pédocriminalité, viols, agressions sexuelles, ne sont que «perversions» de la sexualité inconsciente.

Annie Ferrand, dans un remarquable article intitulé «L’inconscient, l’ennemi intérieur des femmes», explique ainsi que la cure psychanalytique est censée mener l’individu à s’attribuer ses pensées inconscientes pour réduire sa souffrance. Mais mener les hommes à admettre leur agressivité et leur mépris envers les femmes n’a pas le même effet que de faire assumer aux femmes un désir masochiste et une identité méprisable. La première démarche consolide la conscience dominante en renforçant la continuité entre vision personnelle et réalité collective inégalitaire puis en éliminant le remords. La seconde renforce l’oppression subie en disloquant la conscience : elle creuse l’écart entre expérience personnelle et perception idéologique, elle augmente la culpabilité et la haine de soi propres aux opprimé.es.» La chercheuse parle de « colonisation mentale », les expropriant de leur subjectivité.

La cure psychanalytique ne vise qu’à faire accepter cet ordre de domination masculine. A aucun moment, Freud n’envisage que cette représentation de l’inconscient ne soit «située », c’est à dire que cet ordre soit le refet de la société patriarcale et de son système de représentations sexistes, qui parasiterait notre conscience.

Comment repenser alors l’inconscient ? Annie Ferrand propose : «Mais, révolutionnaires, nous affirmons que l’ordre social, ancien ou actuel, n’est ni juste ni immuable ni soustrait aux décisions conscientes des individus. Ceci nous mène à formuler l’hypothèse suivante : si les contenus inconscients correspondent aux inégalités sociales, alors l’inconscient a une origine sociale. Dès lors, que doivent chercher les opprimé.es, ici les femmes, dans «leur» inconscient ? «Leur désir», «leur vérité subjective » ou plutôt la manière personnelle dont elles ont intériorisé les pressions sociales, les injonctions dominantes ? »

Une démarche de soin féministe comporterait nécessairement un travail de déconstruction de ce psychisme construit par la socialisation sexiste, imprégnant le plus profondément nos désirs.

«Comprendre l’aliénation, c’est analyser les versions individuelles de la « face mentale des rapports de pouvoir » qu’est l’idéologie » (Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir, 1992), conclut-elle.

Céline Piques


(*) Référence: Annie Ferrand, «L’inconscient, ennemi intérieur des femmes»

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