Le sexisme, candidat des Municipales

Invité d’honneur de la campagne 2020, le sexisme a réalisé un score triomphant, faisant fi d’une parité effective. En guise de colistiers : agressions et violences sexuelles et misogynes, à l’image du climat qui règne dans de nombreuses municipalités. Rendant ardu le combat pour des villes féministes.

« Tu ferais mieux de t’occuper de tes gosses, au lieu de faire de la politique. » « Votre mari est bien gentil de vous laisser faire. » « Elle s’est tapée le patron du parti pour avoir sa place. » Agressions sexistes et attaques misogynes, la campagne des municipales 2020 a, sans surprise, été entachée par les violences envers les femmes engagées en politique. Le florilège éloquent de plus 350 témoignages nauséabonds #EntenduALaMairie, recueillis par le réseau Élues locales et #Noustoutes, atteste d’un climat de sexisme inacceptable dans la campagne mais aussi au sein des collectivités. Les témoignages des élues ne cessent de s’accumuler. Tous plus horrifiants les uns que les autres. « Deux mois après avoir été élu, le maire m’a demandé de monter dans son bureau, il a fermé la porte, il était accompagné d’un adjoint et m’a demandé de retirer ma culotte.» 40,1% des répondantes déclarent subir du sexisme et 29 d’entre elles ont été sexuellement agressées, pour deux tiers par leurs collègues élus. Pire encore, l’application de la loi (art. 131-26-2), qui prévoit l’inéligibilité pour les personnes coupables de ces violences sexuelles, n’est pas toujours appliquée…
Au-delà d’une situation à dénoncer de toute urgence, l’enquête du réseau Élues locales et #Noustoutes pointe également la place à laquelle les femmes sont encore assignées en politique. Alors que la parité est obligatoire sur les listes municipales pour les villes de plus de 1000 habitant·e·s depuis la loi promulguée en 2000 (!), la réalité, vingt ans plus tard, est loin d’être le reflet de cette obligation. Aujourd’hui, 84% des maires et 92% des président·e·s d’intercommunalités sont des hommes. Une photographie territoriale sans appel. Osez le Féminisme ! a examiné les listes des six plus importants partis politiques dans les dix plus grandes villes et les résultats sont toujours aussi désastreux : 29% seulement de femmes étaient têtes de liste (40% pour LFI et PS, 30% pour LR et LREM, 20% pour EELV… et 10% pour RN !). Ces chiffres illustrent un réel sous-développement démocratique et confirment la nécessité de mise en œuvre de contraintes législatives paritaires beaucoup plus fortes, assorties de sanctions exemplaires.

Pour Reine Lepinay, coprésidente du réseau Elles aussi – créé en 1992 pour promouvoir la parité dans toutes les instances élues -, pas de doute : « C’est le poids de l’histoire, cette situation est liée à notre organisation sociale. Les femmes n’ont pas eu pour attribution première de gérer une collectivité, elles s’occupaient exclusivement du cercle familial et on leur demandait surtout de ne pas faire autre chose. Jusqu’en 1966, il fallait quand même l’autorisation du mari pour travailler ! Tout ce qui relevait de l’extérieur du foyer était du domaine du masculin. C’est le fruit de notre société patriarcale : le maire est encore la figure paternelle dans une commune », explique-t-elle au quotidien Libération quelques jours après la publication de « l’Appel 2020 ». Un texte qui s’adressait aux parlementaires et aux élu·e·s locales et locaux et visait à soutenir l’engagement des femmes aux élections municipales. Mais l’Histoire avec un grand H, si elle tisse une trame de compréhension des faits, ne peut légitimer les comportements sexistes, les remarques graveleuses, l’hostilité systématique vis-à-vis des femmes, les attaques physiques, les agressions, les atteintes à la crédibilité des 240 000 élues locales. Des élues qui représentent 40% des conseils municipaux, mais dont les attributions sont encore très genrées. Aux femmes la petite enfance, aux hommes la finance…des assignations stéréotypées au mépris du combat pour l’égalité.Il faut un certain courage porté par de solides convictions pour faire son entrée dans l’arène politique, culturellement masculine et misogyne. Et sans doute encore plus pour défendre et mettre en œuvre des politiques locales féministes : service aux droits des femmes doté d’un budget conséquent, nomination d’un·e élu·e en charge de l’égalité femmes-hommes, vrai service public de la petite enfance (plus de places en crèche), lutte contre les violences masculines (plus de places d’hébergement pour les femmes victimes), aménagement de l’espace public en pensant l’inclusion des filles et des femmes (aménagements sportifs pensés pour être paritaires dans leur utilisation, transports en commun et espace public plus sûrs et plus accessibles à toutes, etc.).

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Trois questions à Nathalie Perrin-Gilbert, élue depuis 1995, aujourd’hui mairesse du 1er arrondissement de Lyon et candidate à l’hôtel de ville.

Avez-vous rencontré des difficultés à monter des listes paritaires ?

Nous avions 221 noms à réunir pour les listes des 9 arrondissements de Lyon. Les candidatures féminines ont parfois été très difficiles à recueillir. La première raison invoquée par les femmes : la disponibilité. La difficile conciliation entre temps professionnel, temps associatif et temps familial et personnel. Pour une grande partie des femmes, la politique est vécue comme un temps supplémentaire qui s’additionne aux trois autres. De plus, elles sont bien moins sensibles à la « griserie » de la proposition. Une question d’égo moins développé sans doute ! Les hommes sont flattés qu’on leur propose d’être sur une liste, ils se disent aussi que le cumul « des temps » va passer, et que les autres vont s’organiser autour d’eux ! Les femmes se posent toutes la question de leur légitimité, de leurs compétences. Je n’ai jamais entendu un homme s’interroger sur ce point. Par ailleurs, les femmes ont bien plus conscience de leurs limites, quand elles prennent un engagement, elles s’y tiennent et s’y investissent à fond. Elles sont de plus bien plus réceptives au collectif. Pour celles qui acceptent de s’engager, elles pensent équipe et partage. Autre frein à leur candidature : elles ne veulent pas être un alibi de parité. 

La parité vous semble-t-elle effective ?

Les femmes sont très rarement tête de liste. Ou alors dans des arrondissements ou communes perdues d’avance. Elles y sont envoyées pour défricher. On les envoie au casse-pipe là où les hommes ne veulent pas se confronter à un échec qui pourrait entacher leur carrière politique. Au global, la parité est mathématiquement respectée mais dans les résultats, les élus sont essentiellement masculins. La distinction est grande entre l’affichage de la parité et la réalité des assemblées. Quant aux délégations, c’est du même acabit. Les femmes sont reléguées aux postes moins exposés, moins prestigieux, moins en vue. Si bien que nous devons démontrer dix fois plus nos compétences pour être respectées. On nous attend bien plus au tournant que les hommes. L’incompétence chez les hommes est quasiment acceptée, il est gentiment qualifié de « glandeur ». Chez une femme, elle est tout de suite « bête comme une oie », « nulle », « arrivée là parce qu’elle a couché ». Enfin, les femmes ne sont pas assez futées pour écrire et penser leurs discours seules, « il y a forcément un homme derrière »… Alors qu’il est admis que les discours des hommes politiques sont écrits par des plumes(1)…

Comment avez-vous répondu aux attaques sexistes ?

En vingt ans, j’en entendu beaucoup de propos abjects sur moi et d’autres femmes. Ce fut extrêmement violent. J’ai posé les limites pour me défendre. J’ai fait attention à ne jamais tomber dans le jeu de la séduction pour arriver à mes fins. J’ai travaillé sans relâche, en gardant le cap et en fermant les écoutilles ! Je remarque que le climat s’est amélioré, peut-être sous la contrainte… les hommes sont obligés de se contenir un peu plus ! J’ai beaucoup réfléchi à l’articulation du pouvoir et de la féminité. Est-ce compatible ? Comment ? C’est une équation personnelle que chacune des femmes politiques se pose et doit résoudre dans la maturation. C’est une question qui nous est presque imposée. Les hommes sont exemptés de ce travail sur soi…

 Marie-Stéphane Guy

(1) Les plumes sont souvent des collaborateurs et collaboratrices qui écrivent les discours des politiques. Certain·e·s ne font que ça, on les désigne alors comme « la plume du Président », « la plume de la mairesse » etc…

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