«Le phallus et le néant» ou la critique féministe de la psychanalyse

Sophie Robert est la réalisatrice du film «La phallus et le néant », critique éclairée et pertinente de la psychanalyse actuelle, qui a suscité nombre de débats et réactions, elle a accepté de répondre à Osez le Féminisme !

Votre film constitue à mon sens une analyse critique fine du discours psychanalytique, vous mettez les thérapeutes qui se réclament de la psychanalyse face à leurs incohérences, leurs contradictions, comment la profession réagit-elle à votre égard?

La profession a d’abord réagi à mon 1er film qui s’appelait «Le mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », les lacaniens ont réagi en m’attaquant en justice, moins d’un mois après la sortie du film. On a eu 7 années de procédures, j’ai perdu une première fois, mon 1er film a été censuré pendant 2 ans. Ç’a été extrêmement violent, ils ont répandu des calomnies à mon sujet sur les réseaux sociaux. Ils ne m’ont pas attaquée en diffamation, mais ils ont attaqué le montage du film. Ils ont essayé de faire croire que j’avais fait un montage grossier exprès pour les rendre ridicules et dogmatiques, et que les propos des psychanalystes dans mon film n’étaient pas ridicules en eux-mêmes.

Ce que disait le jugement c’est que j’avais omis des nuances essentielles à la compréhension de leurs discours, ce qui avait contribué à les rendre ridicules et dogmatiques. Ils m’ont calomniée en racontant que j’étais une mauvaise réalisatrice, ils ont essayé de faire croire que j’étais scientologue, que j’étais payée par les laboratoires pharmaceutiques, instrumentalisée par les associations de parents d’enfants autistes… Ils ont fini par être condamnés à des dommages et intérêts, la censure sur le film a été levée. Ils ont obtenu l’inverse de ce qu’ils voulaient. Mon film a été totalement censuré au début, ce qui a lourdement entravé sa diffusion, mais quand la censure a été levée, il y a eu un engouement pour le film. Pour « Le phallus et le néant », comme les lacaniens ont été condamnés à 50 000 euros de dommages et intérêts en mars 2018, ça les a découragés.

Par contre, une psychanalyste freudienne, Jacqueline Schaeffer, a poursuivi le film pour empêcher qu’il ne sorte, elle n’a même pas essayé de faire croire que j’avais manipulé ses propos. Elle a essayé de revenir sur son autorisation de droit à l’image, en disant qu’elle ne m’avait pas autorisé à faire plusieurs films à partir de son interview, mais un seul. Le juge des référés a botté en touche et ça s’est arrêté là.

Votre film comprend des témoignages de victimes de violences sexuelles qui ont souffert de leur prise en charge par des psychanalystes, si on se place dans une perspective systémique, globale, peut-on dire selon vous que la psychanalyse est utilisée contre les victimes de violences sexistes et sexuelles actuellement ?

Complètement, dans les grandes largeurs, de manière systémique. On peut trouver exceptionnellement des psychanalystes qui ne vont pas survictimiser leurs victimes. Ils sont tellement imprégnés d’une théorie délirante qui met tout à l’envers, qui prête aux enfants, aux bébés, des pulsions sexuelles, et qui va condamner l’existence de ces pulsions sexuelles chez des femmes adultes, matures. C’est délirant, la meilleure preuve, ce sont les heures d’enregistrement où des psychanalystes racontent que les enfants ont des pulsions sexuelles pour les adultes. Ils sont formatés à cette vision pédocriminelle, c’est une structure délirante. Tous les psychanalystes ne sont pas des pervers, mais ils sont imprégnés de théories intégrées comme des dogmes, pour eux, ça ne se discute pas. Même des jeunes femmes, qui sont entrées dans cette logique sectaire vont défendre que tel enfant victime d’inceste l’a désiré, j’ai des témoignages directs de ces femmes.

J’ai fait une soixantaine de projections-débats de mon film dans toute la France, j’ai beaucoup échangé avec des psys de toutes sortes, notamment des psychanalystes. On a eu des réactions de violence de psychiatres formés à la psychanalyse qui vont défendre ces théories qui sont ultra-patriarcales et qui vont survictimiser les victimes de violences sexuelles. Il y en a qui le font même de manière très grossière, d’autres le font de manière plus insidieuse, en condamnant les violences sexuelles, mais en insinuant que l’enfant peut l’avoir désiré, c’est vraiment une secte. On retrouve ça dans les tribunaux et les expertises psychanalytiques: les avocats au service des criminels sexuels utilisent les théories psychanalytiques pour se dédouaner.

Ça a pour conséquence directe les si faibles taux de condamnations des auteurs de crimes sexuels contre les enfants. Et quand ils sont condamnés, c’est à des peines dérisoires, des peines de sursis. Aujourd’hui, ce qui se passe, c’est que les auteurs de crimes sexuels ne prennent même plus la peine de nier, ils se contentent de plaider que l’enfant était consentant. La psychanalyse imprègne les gens de l’idée que l’enfant a des désirs érotiques, c’est monstrueux, oui la psychanalyse aujourd’hui est au service des pédo-criminels.

La psychologie cognitive est souvent mise en opposition avec la psychanalyse, qu’en pensez-vous ? La psychologie cognitive est-elle d’après-vous réellement efficace, contrairement à la psychanalyse?

La psychologie cognitive c’est la psychologie, point, la psychanalyse n’a rien à faire dans la psychologie, c’est une erreur. Les psychanalystes sont opposés à la psychologie et à la médecine, les gens que j’ai filmés ont la double étiquette : psychologues et psychiatres, mais ils disent qu’ils sont avant tout psychanalystes. Il faut replacer les choses dans leur contexte, Freud et Lacan étaient tous les deux médecins, Dolto était médecin, mais il y a eu un plein essor de la psychanalyse en développant l’analyse profane.

Freud le 1er et les autres ont développé l’analyse profane, c’est-à-dire la possibilité pour quelqu’un qui n’est pas médecin, ni formée à la psychologie de soigner les gens, Freud a fait ça à son époque. Ensuite Lacan a dragué les philosophes, les artistes, il y a eu une inflation de psychanalystes dans les années 1960 sous l’égide de Lacan. Les psychiatres et les psychologues ont été noyés par des gens de professions diverses et qui parce qu’ils avaient quelques notions de psychanalyse, s’arrogeaient le droit de soigner les gens, voire d’exercer à l’hôpital.

Lacan a introduit la psychanalyse à l’université d’abord, dans un cursus de psychanalyse, après par capillarité dans les cursus de psychologie et de psychiatrie. C’est une aberration complète même du point de vue de la psychanalyse, qui s’adresse à des gens qui vont bien, qui sont conscients de faire un geste, d’aller parler d’eux-mêmes, de fonctionner, de payer des séances. La psychanalyse s’impose en hôpital psychiatrique sans que les gens en soient conscients ou capables de parler, c’est une aberration totale.

Les psychanalystes que j’ai filmés, longuement interviewés le disent eux-mêmes: on n’est pas là pour soigner les gens. Ils ont une haine du soin, ils disent qu’ils sont en confit avec la demande sociale de soin, car ils sont d’abord psychanalystes, et ne pensent pas devoir soigner. On est vraiment dans l’exercice illégal de la médecine, c’est comme si des astrologues prétendaient que l’astrologie était le futur de l’astrophysique. C’est une secte qui fait de l’emprise, il y a toute une logique de capter des patients par l’intermédiaire des institutions psychiatriques et de futurs adeptes, car les étudiants sont de futurs adeptes pour la psychanalyse.

Interview réalisée par Christine



Références
1, «Des représentations de la femme chez Freud. Un regard historique, psychanalytique et féministe contemporain.» de Maryse Barbance, dans «Recherches féministes », volume n°7, n°2,1994.
2, «La psychanalyse d’un point de vue féministe matérialiste : l’invite du deuxième sexe.» de Cynthia Kraus dans «Travail, genre et société », 2008, n°20, p158-p165, chez La Découverte.