Interview : Violaine de Filippis-Abate, avocate pour Osez le Féminisme !

Pourrais-tu nous parler de ton parcours professionnel et de militante ?
J’ai toujours cru en une indépendance des femmes, avant même de la conceptualiser. Adolescente, je voulais devenir une femme « libre », comme ma mère. Elle galérait pour s’en sortir seule avec 3 enfants, mais elle brandissait sa liberté de choix (alors que ça supposait d’enchaîner son boulot de secrétaire le jour, avec des ménages le soir). L’idée c’était : tu peux faire ce que tu veux, à condition d’être coriace.
Donc j’ai décidé de faire avocate, et j’ai eu une bourse. J’ai mis du temps à m’intégrer socialement mais étudiante en Master, j’étais arrivée à me fondre presque dans la masse. J’aurais sûrement pu rester et me perdre dans cette masse. Après tout c’est confortable d’arriver chez les « privilégiés ». Mais en fin de cursus universitaire, j’ai été victime d’un viol par un interne en médecine. Et de là a commencé, lentement, ma compréhension du système global. Dans ce cheminement, je me suis progressivement engagée. J’ai fait des permanences juridiques dans des associations pour favoriser l’accès au droit ; j’ai participé aux manifs ; assisté à des rassemblements. J’avais aussi créé un blog sur lequel je diffusais de l’information sur l’entrepreneuriat des femmes. Puis quand j’ai décidé de m’installer à Paris, j’ai adhéré à Osez le féminisme !
Avec un regard rétrospectif, je crois que le féminisme m’a instinctivement permis de sauver ma peau, et qu’après ça, j’ai voulu aider les autres à sauver la leur.

Quel est ton travail sur le procès contre le concours Miss France ?
Avec Alyssa Ahrabare (porte-parole d’OLF) et Jeanne Le Délaizir (étudiante en droit), nous avons commencé en 2020 par un gros travail de recherches sur les sociétés de production du spectacle. L’angle d’attaque, lui, a été trouvé grâce à une jurisprudence de 2013 qui condamnait TF1 pour ne pas avoir payé un candidat de Mister France. Puis nous avons entamé le travail de rédaction de la saisine en choisissant les axes : discriminations dans le processus d’embauche et suppression des clauses discriminatoires.
Trois femmes ont rejoint la procédure et ont permis d’illustrer les rouages du processus de ce recrutement purement discriminatoire. Finalement, la juridiction a reconnu sa compétence, mais a déclaré nos demandes irrecevables en estimant que nous n’étions pas dis- criminées, puisque nous n’avions pas candidaté jusqu’au bout ; ce qui est très contestable puisque dès lors qu’une offre d’emploi est discriminatoire, alors elle discrimine nécessairement toute candi- date qui la consulte…
Sur ce dossier, nous avons reçu la précieuse aide d’Ursula Le Menn (porte-parole OLF) et de Sophie Truchot (sur les réseaux « Why the féminisme ») pour la partie communication.
Nous avons obtenu la suppression de la quasi-totalité des critères discriminatoires. De la même manière, la production a reconnul’existence d’un travail : 3 jours de répétitions et spectacle sont désormais rémunérés (d’après nos informations). Enfin, la baissede 1,5 millions de téléspectateurs et téléspectatrices depuis notre action montre que nous avons participé de manière significative à faire réfléchir l’opinion publique sur le sexisme de ce spectacle. Nous ne fermons pas la porte à d’autres actions.

Comment se passe l’articulation de ton métier d’avocate avec ton militantisme ?
Je suis à mon compte, ce qui me permet de gérer mon temps et de ne suivre que des dossiers qui correspondent à mes valeurs. Désormais, je travaille la moitié de mon temps sur mon activité rémunérée, qui est l’accompagnement des professionnel·les de médecine à structurer leur cabinet en société à responsabilité limitée.
Je passe l’autre moitié de mon temps sur mon engagement d’avocate purement militante. J’ai la joie d’être une des portes-paroles d’Osez le féminisme ! depuis janvier 2023. Il y a donc des tâches relatives à la gestion, à la représentation dans les médias, etc. C’est très enrichissant et on se nourrit toutes de nos expériences de terrain. Bien connaître les sujets concrets, et savoir les répercuter sur la scène politique est une des forces d’OLF.
En tant qu’avocate, j’interviens sur des dossiers en pro bono. Je n’en traite pas plus d’environ 5 à la fois pour avoir le temps néces- saire. Si je suis sollicitée au-delà, je ne laisse jamais une femme sans informations, et j’essaie de trouver une solution de prise en charge. Actuellement, j’accompagne trois femmes sur des dossiers d’agressions sexuelles ou de viols ; ainsi que l’association MaMaMa sur l’expulsion de leur local, et les menaces que ses membres subissent. C’est exigeant psychologiquement car il y a des enjeux humains, ce qui rend difficile de débrancher son cerveau le soir. J’écris également une chronique sur l’égalité et les droits des femmes dans l’Humanité et je suis en deuxième année de philosophie.

Quel est ton ressenti et ton analyse sur le procès en cours contre la porno-criminalité ?
Ce procès est à mon sens indispensable face à cette industrie. D’après les statistiques d’une des procureures de Paris elle-même, 90% des films porno contiennent des infractions sexuelles. La pornographie, à mon sens, ce n’est ni plus ni moins que de la prostitution filmée.
Il s’agit d’un vrai problème systémique : les femmes sont, dans la quasi-totalité des cas, contraintes de subir ces agressions et viols, pour payer leurs factures ! Dans notre monde capitaliste, sans revenu universel de subsistance, des relations sexuelles tarifées ne peuvent pas être libres et désirées.
Passer par le droit pour faire tomber cette industrie qui marchan- dise les femmes est une très bonne base. Avec la pénalisation duclient dans la prostitution depuis 2016, si on arrive à faire qualifier cette industrie de système prostitutionnel, elle aura du mal à sub- sister légalement… OLF a un grand poids que ce soit sur le volet de l’accompagnement de terrain des victimes de l’industrie por- nographique, ou sur le volet politique et juridique. C’est le #Metoo du porno !

Juliette O