Féminisme et internet

Internet : un outil d’émancipation pour les femmes ?

Internet est un terrain quasiment infini de connaissances et de libre expression. C’est d’autant plus vrai depuis une décennie et l’arrivée du « Web 2.0 », qui a facilité les prises de parole sur tous les sujets de société et par l’ensemble des citoyen-ne-s. S’approprier les atouts d’Internet pour le transformer en outil au service des droits des femmes et de la lutte contre la domination masculine est aujourd’hui un enjeu majeur du combat féministe.

Libérer les paroles

Sur les réseaux sociaux, les forums ou les commentaires des articles de presse, Internet permet d’évoluer souvent sous pseudonyme, sans décliner son identité. La garantie de l’anonymat par écran interposé donne la possibilité de s’exprimer de manière décomplexée, sur ses expériences et ressentis.

De nombreuses initiatives s’appuient sur cette liberté de parole retrouvée et sur l’importance de mettre des mots sur les faits, des plus apparemment anodins aux plus graves. Parmi celles-ci, « Vie de meuf », blog participatif lancé par Osez le féminisme ! en 2010, recense les multiples facettes du sexisme dit « ordinaire ». « Paye ta shnek » et « Hollaback » se focalisent sur le harcèlement de rue. Les victimes de viol peuvent témoigner et faire tomber les préjugés liés à ce crime sur le Tumblr « Je connais un violeur ». Tous ces sites, et bien d’autres encore, concourent au même but : la mise en lumière de faits souvent qualifiés de « divers » mais qui sont en réalité des phénomènes de société, massifs, touchant partout les femmes de tous milieux.


Les pionnières du web

En informatique des femmes de talent se sont très tôt manifestées, mais l’Histoire (écrite par des hommes) les a oubliées, comme dans tant d’autres disciplines techniques et scientifiques. Qui a écrit le premier programme pour
une machine ? Ada Lovelace, la fille de Lord Byron, au XIXe siècle. Pendant la deuxième guerre mondiale, de jeunes mathématiciennes américaines furent recrutées pour travailler sur les calculs de balistique et elles continuèrent ensuite avec les premiers ordinateurs. On doit aussi beaucoup à Grace Hopper, amirale de la Marine américaine. À partir de 1957, elle travaille pour IBM, où elle défend l’idée qu’un programme devrait pouvoir être écrit dans un langage proche de l’anglais. De cette idée naît le langage COBOL qui était de loin le plus employé entre 1960 et 1980 et reste très utilisé dans de grandes entreprises, notamment dans les institutions financières.

Pauline


Abattre les murs

« Ils nous ont divisées, les femmes… » L’Hymne des femmes rappelle que la force du patriarcat repose beaucoup sur l’isolement. Lors des mouvements de libération des femmes des années 70, les militantes utilisaient l’affichage ou des lieux identifiables (permanences du MLAC…) pour se réunir pour les manifestations. Un répondeur téléphonique existait même, grâce auquel les militantes pouvaient mettre en relation des femmes souhaitant rejoindre le mouvement, en notant scrupuleusement tous les appels sur un cahier. Les femmes qui appelaient ces associations pour se renseigner le faisaient souvent… d’une cabine téléphonique. Un autre monde…

Depuis l’avènement des sites Internet et la nécessité des associations d’être présentes sur le web, les particuliers peuvent bien plus facilement identifier une association pour s’engager. Les réseaux sociaux ont permis aussi de communiquer à plus grande échelle, concurrençant le lectorat des médias traditionnels. Ainsi, la page Facebook d’Osez le féminisme ! compte désormais près de 40 000 membres ; le réseau Feminist Network créé en 2012 permet d’identifier sur une mappemonde les militant-e-s engagé-e-s dans le monde entier. Ce type de réseau relie des personnes qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées dans le monde réel, car trop éloignées géographiquement ou socialement. On parle parfois d’OLF comme d’un «agrégateur de féministes isolée-e-s». Espaces d’expression et d’échanges formidables, ces sites deviennent un moyen d’éveiller les consciences, de mobiliser les forces individuelles à l’échelle mondiale, de restaurer une forme de solidarité, voire de sororité, levier de la libération des femmes.

Fédérer les luttes

Véritable moteur et amplificateur de démocratie et d’éducation populaire, le web favorise l’émergence de communautés de vues et de combats, pour le maintien d’acquis du combat féministe ou la conquête de nouveaux droits. En Tunisie par exemple, lors des révolutions arabes de 2011, les femmes se sont massivement mobilisées via les réseaux sociaux pour faire valoir leurs droits, ou pour inscrire dans le texte de la nouvelle Constitution la notion d’égalité entre les sexes. Bien sûr, Internet ne remplace pas les modes d’action « traditionnels », comme les rassemblements ou les pétitions, mais les complète, en facilitant leur organisation et en augmentant leur portée.

En effet, Internet accélère et démultiplie les prises de position. Cela permet au mouvement féministe de gagner considérablement en réactivité : les publicités sexistes sont traquées, les actions virales se multiplient. Pour autant, hors du rythme effréné permis par Internet et parfois imposé par l’actualité, la réflexion féministe sur les grands sujets de société n’est pas délaissée. Blogs et sites tenus par des anonymes ou des associations sont autant de contributions à la poursuite d’un mouvement philosophique et politique, en fournissant des arguments que tout un chacun peut réutiliser, améliorer et s’approprier ; ils participent à l’émergence de débats pour faire changer les mentalités.

Sur Internet comme « in real life », c’est en allant sur le terrain de l’adversaire que l’on combat ses idées. La lutte pour les droits des femmes, qui s’est déroulée au fil de l’histoire dans les rues, les journaux, les usines et les parlements, se poursuit par la conquête de ce terrain virtuel et plein de ressources. Cela passe également par l’appropriation des techniques du web par les femmes, qui demeurent très minoritaires dans les métiers liés à l’informatique et à Internet. Des initiatives en ce sens se font jour, mais sans cette mobilisation, qui reste encore largement à construire, Internet demeurera le reflet d’une société inégalitaire et violente envers les femmes. Il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin…

Paul


Mobilisation féministe et actions virales sur internet

Alerter opinion et pouvoirs publics sur un problème, réagir vite par des actions visibles: les féministes ont bien intégré ces nouveaux modes de mobilisation. Ainsi, pour protester contre la remise en cause du droit à l’IVG en Espagne, Osez le féminisme ! a invité, en janvier dernier, les internautes à se photographier avec un cintre ou des aiguilles à tricoter, rappels des méthodes utilisées quand avorter est interdit. Cette action a mobilisé près de 650 personnes et attiré l’attention des médias.

Dans d’autres cas, il faut agir vite pour marquer les esprits. En octobre 2013, face au manifeste des 343 salauds contre la loi pénalisant les clients de prostituées, la riposte est immédiate : le site 343connards.fr permet d’envoyer à chacun des signataires un « mot doux », un tweet lui précisant : « aucune femme n’est ta pute, connard!».

Enfin, l’importante mobilisation sur Twitter visant à dénoncer la dernière campagne de pub Numéricâble a contraint la marque à retirer le visuel incriminé et à présenter des excuses publiques.

Claire

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