Pornographie: la propagande pro-viol

« Ma vie n’est pas ton porno! » C’est un des slogans excédés qui ont fleuri en 4 ans de manifestations féministes en Corée du Sud, titre du documentaire de la réalisatrice Youjin Do1. Se réunissent par dizaines de milliers des femmes qui se tondent les cheveux sur scène et vomissent leur dégoût et leur rage en poèmes autobiographiques pour exiger qu’enfin justice leur soit rendue. La raison de ce ras-le-bol ? Les molka, caméras-espion dissimulées par des hommes dans les lieux publics, d’aisance et jusque dans leurs chambres par des petits amis pour violer leurs moments d’intimité, s’en repaître et les vendre.

Si, horrifiées par ce cauchemar orwellien, vous vous rassurez à l’idée que sévit en Corée un microclimat restreint à ses frontières, détrompez-vous.
Ces vidéos prises par des Coréens sont mises en ligne, achetées, téléchargées dans le monde entier sous les étiquettes d’up-skirting ou de «porno coréen ». L’Enfer panoptique des Coréennes est le support masturbatoire du voyeur occidental friand d’exotisme comme celui des pays asiatiques.
Ce qui en 2018 a remis le feu aux poudres du mouvement anti-porno sud-coréen est l’hypocrisie de la police. Quand les femmes portent plainte, on leur dit qu’il n’y a rien à faire. Or, lorsqu’en séance de pose, un modèle nu gêne par son comportement sexuel, une femme filme cet épisode d’exhibitionnisme et fait circuler la vidéo sur Internet: il porte plainte; elle est condamnée. La vidéo est traquée, effacée. Les Coréennes ont alors eu confirmation qu’une répression de ce porno proliférant est possible. Mais aussi que les autorités comprennent la violence et l’humiliation qui est faite uniquement quand la cible est un homme!

Même un agresseur sexuel en plein délit, filmé par sa victime!
Vivons-nous dans un autre univers ? La mondialisation du porno le dément, quand les criminels sexuels partagent librement leurs combines et trophées de chasse pornographiques sur la toile.
De plus en plus de filles et femmes font les frais de « pornodivulgation », traduction euphémique bancale du revenge porn: d’ex-petits amis publient par représailles les images déshabillées, sexualisées de celles qui ont eu le cran de les quitter. Si la riche femme d’affaires Paris Hilton a pu gagner son procès il y a 16 ans contre le producteur Rick Salomon pour la vente et diffusion de leur sex-tape et reverser les dommages et intérêts à des associations caritatives, la plupart des victimes n’ont pas les moyens d’endiguer l’avalanche d’humiliations qui les ensevelit. Le harcèlement en meute des voyeurs qui s’y greffe en conduit plus d’une au suicide.
Face à ce constat, tenter de déterminer si les images ont été extorquées avec ou sans le « consentement » des filles et femmes piégées est une préoccupation dépassée, dérisoire. Focaliser d’un œil myope sur cette distinction masque le point commun: de la part des pornographes, que l’acte de diffusion soit immédiat ou différé, il s’agit in fine d’exposer l’intimité de leurs proies, détruire leur réputation, leur image de soi comme personnes dignes d’être respectées dans leur intégrité, et tirer de l’excitation sexuelle de leur humiliation collective.
Nous n’en serions pas là si ne pesaient pas sur nous des siècles de culture voyeuriste et des décennies d’industrialisation du porno. Combien penseraient à filmer leur compagne nue, au lieu de s’occuper à lui donner du plaisir, s’ils n’avaient pas été formatés à voir les films pornos comme source première de jouissance? Combien se masturberaient sans honte sur l’intimité d’inconnues ou de proches si leur « droit » à outrepasser le droit à l’intimité des femmes n’était consacré par leur accès légal au reluquage de leur nudité et de leurs rapports sexuels ? Telle est l’évidence qu’on n’a plus le droit de penser dans une société qui sans cesse la piétine: autoriser à violer l’intimité d’autrui est le pas décisif vers l’autorisation à violer autrui.
Si l’on comprend que le viol d’intimité est au cœur du dispositif pornographique, l’escalade de violence du porno actuel cesse d’être un mystère. Ce n’est pas une perversion fortuite d’un divertissement à recadrer. C’est l’aboutissement, par effet domino, de sa nature, telle que l’a exposée la sociologue féministe Diana E. H. Russel dans Making Violence Sexy: une représentation d’actes sexuels maltraitants et avilissants, vouée par propagation à pousser plus loin le seuil de tolérance public aux violences sexuelles. Il suffit d’écouter les artistes qui entrent en pornographie pour qu’ils le confirment. Se félicitant du caractère « transgressif » de leur démarche, ils s’attendent à ce qu’on les en applaudisse
en oubliant que « transgresser » est le synonyme abstrait de « violer ». Ceux qui ne se piquent pas d’art sont plus directs dans leur discours: ils « niquent », « défoncent », « démolissent », « martèlent », « explosent »… Ils violent.
Le viol est omniprésent dans le porno, car la pornographie est le genre dédié à l’érotisation de la violence, à la célébration du viol et au partage d’astuces pour le commettre en toute impunité. Cela va du viol psychologique, qui trahit la confiance de celle qui a consenti à la création d’images intimes en les exposant aux yeux de tiers, jusqu’au viol au sens plein, crime défini par la loi comme « tout acte de pénétration sexuelle » commis « par violence, contrainte, menace ou surprise. » Quand des moyens technologiques de captation et diffusion ultra-performants sont à disposition des pornographes et que leurs commanditaires exigent sans cesse d’augmenter le niveau de violation afin de recharger leur shoot de jouissance sadique, ils glissent d’une transgression à l’autre. D’où les rubriques et mots-clés de leurs sites aux noms, souvent acronymiques, de sévices, de lésions ou de catégories de victimes.
Pour rompre avec cette propagande pro-viol et son effet de tolérance à la gradation de la dégradation, il est urgent d’appeler un chat un chat, un viol un viol, chaque violence pour ce qu’elle est, sans égard pour ceux qui la nient parce qu’ils la trouvent « sexy ». Plus de deux poids deux mesures, plus de mise à l’envers. On ne tolérera plus la culpabilisation de ceux qui braient aux « censures liberticides » alors qu’ils bouchent l’horizon de nos sexualités.
Pour entamer ce chemin vers la reconnexion à nos sensations et ressentis légitimes, répétons à voix haute et assimilons en douceur cette simple phrase d’Andrea Dworkin: « J’ai cessé de croire que la torture d’un homme en prison est pire que la torture d’une femme dans un lit. »


Harmony

Cet article a été publié dans le journal #53 d’Osez le Féminisme ! Ce numéro contient tout un dossier sur le système pornocriminel. Il est accessible suivant ce lien, même si vous n’êtes pas adhérent.e : https://osezlefeminisme.fr/journal/

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