« Workin’ Moms » : une déconstruction de la maternité ?

Attention aux spoilers !

Écrite et réalisée par Catherine Reitman, la série comique canadienne “Workin’ Moms” disponible depuis juillet 2019 sur Netflix suit quatre mères qui reprennent le travail après leurs congés maternités.

Les quatre personnages principales ont toutes des problématiques différentes. Kate,  pour qui le travail est central et primordial dans la vie, se voit rapidement confrontée à l’impossibilité de travailler autant qu’avant sa grossesse tout en étant présente pour son fils. Anne a une fille de neuf ans, dont l’éducation lui pose quelques soucis,  et a récemment accouché. Alors qu’elle reprend son travail de psychologue, elle apprend qu’elle est de nouveau enceinte. Jenny ne se sent pas proche de sa fille, n’apprécie pas son rôle de mère et cherche à se prouver qu’elle peut séduire à nouveau. Frankie, enfin, subit une dépression post-partum puissante qui met en péril son emploi et sa relation.

L’un des objectifs affichés de la scénariste de la série est de ramener la maternité à une réalité triviale et non glamour. La série réussit-elle le pari de déconstruire les rapports sociaux en jeu dans la maternité ?


Les représentations des mères dans les séries


Tout d’abord, nous allons tenter de discerner dans quel contexte la série s’inscrit. Sarah Lécossais a analysé un corpus composé de séries familiales françaises diffusées à la télévision entre 1992 et 2012. Elle distingue plusieurs caractéristiques récurrentes associées aux mères et jamais aux pères. Celle du « sacrifice maternel », d’une certaine culpabilité maternelle liée à la crainte de mal faire, souvent liée à une forte réflexivité psychologique quant à la bonne manière de faire. 

Sarah Lécossais explique également que les mères sont en charge de l’unité familiale. Ce motif s’illustre dans la série Breaking Bad par exemple. Lorsque Skyler découvre les activités illégales de son mari Walter, elle décide de ne pas les révéler pour protéger toute la famille, quitte à passer pour une épouse et une mère ingrate auprès de son entourage. 

L’amour maternel, enfin, est représenté comme allant de soi et étant particulièrement fort. Avec cette image vient aussi celle de la maternité comme un événement qui par essence rend heureuse. Dans la série Desperate Housewives, lorsque Gabrielle tombe enceinte contre sa volonté, ses amies lui promettent que lorsqu’elle accouchera, elle sera envahie de bonheur et d’amour pour son enfant.

En outre, les mères sont celles qui réalisent le travail domestique dans les séries. On ne voit que très rarement les personnages de pères effectuer des tâches ménagères, à moins qu’il n’y ait un contexte particulier.


Concilier vie professionnelle et vie de famille : la question des « working moms » 


Au cours des cinquante dernières années, la proportion des femmes présentes sur le marché du travail a fortement progressé. Logiquement, de plus en plus de mères sont professionnellement actives, notamment les mères de jeunes enfants : 78% des mères avec au moins un enfant de moins de trois ans étaient actives en 2009 contre 43% en 1975. Si ces chiffres s’appliquent à la France, ils sont aussi représentatifs d’un mouvement global d’arrivée des mères sur le marché du travail.

Dans les séries qu’elle a étudiées, Lécossais constate que les mères sont valorisées lorsqu’elles travaillent. Les mères au foyer y sont au contraire accusées de se négliger, de se sacrifier, d’être dépendantes. Le travail est présenté comme émancipateur et épanouissant. La question du sacrifice revient aujourd’hui sur le devant de la scène, mais cette fois-ci,  ce sont les mères qui travaillent qui sacrifieraient leur vie de famille, voire leurs enfants. Les mères ont donc le choix entre se sacrifier ou sacrifier leur famille. Le nouvel idéal est celui d’une mère combinant “parfaitement” vie professionnelle et vie de famille.

Cet idéal pousse donc les mères à multiplier les rôles : employées, femmes, amantes, mères, amies… Les mères sont sous pression, et celles qui ne parviennent pas à y répondre peuvent se sentir en situation d’échec. D’autant plus que les représentations de mères débordées sont loin d’être flatteuses (on peut par exemple penser à Lois dans la série Malcolm). La construction de ce nouvel idéal pousse ainsi les femmes à se dépasser toujours plus, augmentant par la même occasion leur charge mentale.


La série Workin’ Moms : des mères sous pression


Workin’ Moms représente des femmes confrontées à cette pression et dépassées par les évènements.

Dans le second épisode de la première saison, une des mères du groupe, est horrifiée d’avoir dit “no.” et “you can’t” à son enfant (« non. », et « tu ne peux pas » en anglais). Elle parle du “C word”, du “mot en C” (renvoyant ici au mot “can’t”), et alors que la majorité des mères ne comprennent pas, le personnage de Kate croit que le mot désigné est “cunt” (“chatte”, utilisé comme injure) et avoue l’avoir déjà dit à son fils. La réaction de Kate crée un décalage humoristique mettant à distance cette sur-intellectualisation de la maternité. Ce passage, au-delà d’être très drôle, déculpabilise et dédramatise cette attente de réflexion et d’éducation irréprochable envers les mères.

La question du sacrifice maternel apparaît également dans la série, notamment à travers le personnage de Kate qui se retrouve souvent à devoir choisir entre passer du temps avec son fils et mener sa carrière comme elle le souhaite. Dans le dernier épisode de la saison 1, cette dernière se retrouve confrontée à un dilemme : rester pour terminer une présentation très importante ou rejoindre son fils qui est à l’hôpital. Sa collègue lui fait clairement comprendre que si elle choisit son fils, sa carrière en sera très fortement impactée. Kate doit choisir entre sacrifier sa carrière ou sa famille…


Workin’ Moms et classe sociale


Si la série a parlé à beaucoup de mères lors de sa sortie, les critiques émises convergent sur un point : les préoccupations des personnages principales sont propres aux classes supérieures. Elles  ont des considérations bourgeoises, se demandant par exemple si elles doivent engager une nounou ou non. Les finances ne semblent pas être un problème pour elles : lorsque Kate est licenciée au début de la saison 2, ce n’est pas par nécessité financière qu’elle cherche à reprendre le travail, mais bien parce qu’elle en a envie. D’ailleurs, ces working moms exercent toutes des métiers valorisés socialement et exercés en majorité par des personnes de classe moyenne ou supérieure. Aucune des mères de la série n’exprime ne pas aimer et/ou subir son travail. Kate est au contraire présentée comme très carriériste, passionnée par son travail et connue pour y être très douée, ce qui représente un luxe que beaucoup de mères n’ont pas.

Par ailleurs, toutes ont un conjoint ou une conjointe dont l’emploi lui permet d’être présent.e et investi.e, qu’iels soient séparé.es ou non. La série prend donc pour personnages et pour décor une classe privilégiée, dessinant donc la réalité d’une petite proportion de mères.

Le cas du personnage de Frankie est intéressant. La représentation de la dépression post-partum est importante, puisqu’il s’agit d’un problème très courant, mais encore trop tabou – tout comme la dépression de façon générale. Néanmoins, sa compagne est très présente et Frankie peut se permettre de se soigner, de voir une psy et même de partir en cure dans une maison de repos. Peu de mères ont cette chance et ces possibilités, que ce soit pour la garde de l’enfant ou pour des raisons économiques.


Un nouveau modèle ?


La série propose de « déglamouriser » l’image de la maternité, de la ramener à une réalité crue, triviale et difficile. Si ce feuilleton démonte le mythe de la mère parfaite, en montrant l’impossibilité de sa réalisation, peut-on dire qu’il déconstruit ou remet en cause les inégalités hommes-femmes qui entourent la parentalité ?

Les personnages d’Anne – qui avorte – et de Jenny – qui a peur de ne pas se lier à sa fille contrairement à son compagnon – remettent en cause l’idée d’un amour maternel instinctif et irrévocable et rappellent que la représentation genrée de la parentalité n’est qu’une construction sociale.

Néanmoins, les rapports de pouvoir qui se jouent dans la parentalité ne semblent pas réellement questionnés. Par exemple, lorsque Anne se demande comment elle doit réagir face à sa fille de neuf ans qui montre sa culotte aux garçons dans la cour d’école, elle en parle à sa meilleure amie mais n’en discute pas avec son époux. Si cette situation défait le mythe d’un instinct maternel offrant toutes les réponses en matière d’éducation, elle ne questionne pas le fait que ce soit la mère qui se retrouve à gérer la situation et à s’en sentir responsable. De même, la non-mixité du groupe de parole des mères, fil conducteur de la série, n’est jamais remise en question. Au cours de la saison 2, Ian rejoint ce groupe suite à sa séparation. Néanmoins, il semble avoir été nécessaire qu’il se sépare pour assister aux réunions. Le groupe n’est fréquenté que par un seul des deux parents et dans le cas des couples hétérosexuels, il s’agit toujours de la mère, comme si c’était une évidence indiscutable.


Une série qui ne va toutefois pas assez loin


Workin’ Moms peut faire beaucoup de bien aux mères en leur rappelant qu’elles ont le droit de ne pas être parfaites. En revanche, elle ne questionne pas les racines de la pression qui pèse sur elles et ne propose pas de contre-modèle. La série tire sa puissance comique du caractère irréaliste des attentes qui pèsent sur les mères. Elle tourne ces attentes en ridicule mais ne les analyse pas, ne cherche pas à comprendre d’où elles viennent. Elles ne sont pas tombées du ciel, elles font partie du rôle social dévolu aux femmes par le patriarcat ! De plus, malgré sa volonté de réalisme, la série se concentre sur une classe sociale restreinte sans la présenter comme telle, ce qui empêche une véritable déconstruction de la maternité, qui nécessiterait une approche intersectionnelle.

Aline


Source : 
« Couple, famille, parentalité, travail des femmes. Les modèles évoluent avec les générations », Alice Mainguené, division Études sociales, Insee, parue le 1er mars 2011, URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281216