Répondre au Top 5 des arguments pro-agresseurs

Depuis sa création, Osez le Féminisme ! a fait de la lutte contre les violences masculines une des priorités de son action. Nous nous attachons, chaque jour, à faire connaître les chiffres des violences, apporter notre soutien aux victimes, exiger des pouvoirs publics des moyens et des actions concrètes pour prévenir les violences, accompagner et mettre en sécurité les victimes et sanctionner les agresseurs. 

Notre mobilisation constante autour du hashtag #StopAgresseurs vise plus spécifiquement à pointer du doigt ceux qui commettent les violences contre les femmes et les enfants, et qui sont bien trop souvent protégés par leur situation de pouvoir (au sein de la famille, en politique, dans le monde de la culture ou parce qu’à la tête de grandes entreprises). Malgré une prise de conscience certaine de la société sur l’ampleur et les conséquences des violences sexuelles, l’impunité des agresseurs demeure. Mis en cause et condamnés retombent toujours sur leurs pieds. Citons pour exemple Dominique Strauss-Kahn, Bertrand Cantat, Roman Polanski, Gérald Darmanin ou encore Christophe Girard qui ne sont que la face émergée du travail qu’il nous reste à accomplir pour que la société dans son ensemble prenne conscience que s’il y a tant de victimes…c’est bien parce qu’il existe autant d’agresseurs qui évoluent autour de nous. 

L’impunité des agresseurs se traduit par des chiffres très concrets …

Plusieurs millions de femmes ont été victimes de harcèlement sexuel au travail, mais seules 2200 plaintes sont enregistrées chaque année et 100 harceleurs condamnés.

Près de 100 000 femmes (majeures) sont victimes de viol chaque année (c’est un viol ou tentative de viol toutes les 6 minutes), mais seulement 17 000 plaintes sont enregistrées chaque année, et moins de 1000 violeurs condamnés. Cela revient à dire que 99% des violeurs sont dans une situation d’impunité. 

...mais aussi par les arguments repris en boucle dans les médias ou les conversations que l’on peut avoir avec notre entourage ou nos collègues. 

Nous avons sélectionné le Top 5 des arguments garants de l’impunité des agresseurs, et vous proposons de les démonter un par un : 

1.  “Il faut séparer l’homme de l’artiste”

C’est justement parce que ces agresseurs sont en position de pouvoir qu’ils ont pu agresser pendant des années en toute impunité. C’est justement leur statut d’artiste qui assure leur impunité et bâillonne les victimes. Renvoyer à l’”homme” c’est renvoyer au domaine privé un problème de société.
La création artistique est indissociable de l’artiste. C’est au contraire un domaine où il est impossible de dissocier l’un·e de l’autre.
Si on les “sépare”, alors : qui touche l’argent de ses oeuvres ? Qui est récompensé ?
L’homme ou l’artiste ? Roman ou Polanski ? Et c’est une injonction valable uniquement pour les métiers de l’art. Une complaisance, une incohérence et une dissonance cognitive qui ne vaut pour aucun autre métier.

2.“Et la présomption d’innocence alors ?”

La présomption d’innocence est un principe juridique. Lorsque l’on parle de la nomination d’un homme accusé d’un crime (viol) au sein du Gouvernement, on se place d’un point de vue politique et non juridique : la moindre des choses serait de l’écarter du Gouvernement le temps de l’enquête.
Le droit à « un procès équitable » est également un principe du droit français. Problème : quand une victime se retrouve face à un agresseur puissant politique, ministre de l’Intérieur qui plus est et que le président de la République indique qu’il s’est entretenu avec son ministre et qu’il a « confiance » en lui…où est le procès équitable ? Les femmes qui portent plainte n’ont pas accès aux médias, au soutien de la police, de la justice…contrairement aux agresseurs qui bénéficient le plus souvent de soutiens médiatiques et puissants.
La présomption d’innocence s’applique à celui qui a potentiellement violé, alors que la victime est toujours présumée coupable (elle ment, elle a provoqué, elle n’est pas « si victime qu’elle le prétend »…). 
La présomption d’innocence ne lie que les parties dans le cadre d’une procédure judiciaire (lorsqu’il y en a une !), et c’est une obligation qui pèse sur les institutions étatiques : policières , judiciaires, sur les autorités publiques qui pourraient s’exprimer publiquement sur la culpabilité éventuelle d’un accusé dans une procédure (ex : ministre de la justice , préfet … ). Elle ne doit pas être détournée aux fins de créer un droit  à voir sa réputation protégée tant qu’une juridiction n’est pas venue figer une vérité judiciaire ! 
Le système judiciaire a été historiquement pensé et pratiqué par des hommes. Il n’est pas neutre.
La présomption d’innocence n’est pas l’omerta, sinon comme d’éventuelles autres victimes pourraient-elles se manifester ? 

3.“Ces prétendues ‘victimes’ font ça pour l’argent, faire parler d’elles, régler leurs comptes, …”

Dans les faits, les victimes qui osent dénoncer les agresseurs ont plus à perdre qu’à gagner, on compte plus de femmes qui ont vu leur carrière brisée nette que d’agresseurs mis sur liste noire.
Il est très difficile de porter plainte, d’être crue. La procédure est longue, coûteuse financièrement et émotionnellement. Elles n’ont rien à « gagner », si ce n’est la reconnaissance par la société de leur statut de victime. 
Ce sont des arguments que l’on entend que pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, jamais pour des victimes d’autres délits et crimes (cambriolages, violences physiques …).
C’est se placer en dehors des réalités : devoir raconter encore et encore ce que l’on a vécu, faire revivre son trauma, ses cauchemars, devoir expliquer, forcer sa mémoire, se justifier, décrire les atrocités, cela ne fait du bien à personne. C’est s’inscrire en rupture totale d’empathie pour les victimes. 
Sous-entendre que les victimes parlent pour obtenir de l’argent, c’est bien sous-entendre qu’elles mentent.

4.“L’homme est faible, face à une belle femme difficile de résister !”

Dire qu’un homme agresseur n’a pas pu résister revient à rendre les enfants et les femmes coupables de provocation. Et c’est le déresponsabiliser.
Les hommes ne sont pas des animaux : les êtres humains sont doté·es de raison et peuvent se contrôler, même en cas de fortes envies.
Le mouvement #Lundi14 montre la mobilisation des filles contre cette inversion de la culpabilité : sanctionner les filles et les femmes parce qu’elles seraient habillées de manière provocante, c’est définir les filles et les femmes à travers le regard des hommes, et inverser la culpabilité.
Dire « c’est dans la nature humaine », c’est renvoyer à des arguments supposés scientifiques ou biologiques des comportements violents qui relèvent clairement de la culture, et de notre société machiste.
Les arguments qui défendent « la liberté sexuelle » d’une certaine époque ou de certains milieux le font en général au détriment des victimes, comme on a pu le voir avec l’Affaire Gabriel Matzneff. De quelle « liberté sexuelle » parle-t-on ? et pour qui ?
Il y a des hommes… et des femmes qui éprouvent du désir pour d’autres femmes. Pour autant, on ne parle pas de « besoins sexuels » ou de « tentations incontrôlables » face à une jupe ou un décolleté pour les lesbiennes. C’est peut-être que le problème ne viendrait pas des jupes ?

5.“Faut faire attention, une dénonciation calomnieuse ça peut briser une carrière”

Posez-vous 2 questions :
Parmi tous les agresseurs cités précédemment, combien ont vu leur carrière détruite après avoir été accusé de violences sexuelles ?
Parmi les victimes qui les ont dénoncés, combien ont vu leur carrière détruite ?

En disant cela, on glisse automatiquement vers une priorisation de la réputation d’un homme au détriment du respect des droits d’une femme. 


Ces contre-arguments sont issus d’une réflexion collective lors de l’atelier animé par Margaux Collet et Céline Piques, militantes à Osez le Féminisme ! le 20 septembre lors du Festival Empow’her à Pantin.

Un grand merci à Empow’her pour l’accueil et aux bénévoles du festival pour leur aide, en particulier à
Lucia Rubio qui a pris les photos !