Messaline : de la mère prodigue à la « prostituée impériale »

Messaline est l’une des impératrices les plus célèbres de l’histoire romaine. Mais à quoi doit-elle cette célébrité ? Au pouvoir qu’elle a exercé ou à sa “débauche” légendaire ? Son nom a donné lieu à une expression courante désignant une femme débauchée et folle à la fois. Quelle est l’origine de cette réputation ?

Valéria Messalina, ou Messaline, est une impératrice romaine, célèbre pour ses nombreuses relations adultères, sa cruauté et son avidité. Du moins est-ce de cette manière qu’elle nous est présentée par les récits littéraires.

Descendante du premier empereur Auguste, Messaline appartient à la famille la plus prestigieuse de l’époque. Vers 37, elle épouse un cousin éloigné, Claude, beaucoup plus âgé qu’elle. Le couple ne tarde pas à avoir une fille, Octavie (en 39). En 41, l’empereur Caligula est assassiné ; son Claude est désormais le nouvel empereur. Deux mois après l’avènement de son époux, elle met au monde Britannicus, futur successeur de Claude. Forte de ses deux enfants, la jeune femme doit désormais veiller sur leur vie et sur les droits à la succession de son fils. Plusieurs conspirations sont ainsi démantelées par Messaline.

Comme de nombreuses femmes avant et après elle, Messaline est victime des préjugés patriarcaux sur le pouvoir et l’intelligence des femmes qui ne peuvent être reconnus et doivent être nécessairement pervertis. Messaline est accusée de faire pression sur les hommes pour obtenir leur faveur ; tout refus entraînerait la mort du récalcitrant. Les relations adultères de Messaline sont peut-être exactes, mais elles permettaient à l’impératrice de surveiller certains personnages importants de la Cour. La sexualité de Messaline pose problème aux hommes : qu’elle soit admise ou pas, elle assure un certain pouvoir à l’impératrice, avec l’assentiment de son époux.

En 48, elle se décide à participer à son tour à une conspiration contre la vie de son époux, qui refuse de voir la menace que représentent le futur empereur Néron et sa mère Agrippine. Mais le complot est déjoué par les fidèles de son époux ; ce dernier, directement menacé, fait exécuter Messaline sans l’entendre et condamne de fait sa mémoire. Elle meurt en 48, à moins de trente ans.

Cinquante ans après la mort de la jeune impératrice, le satiriste Juvénal présente Messaline comme une « prostituée » indigne d’avoir mis au monde Britannicus. L’épithète de « prostituée impériale » qualifie désormais notre impératrice, coupable, chez les auteurs des siècles suivants, d’obliger les aristocrates romaines à se prostituer sous les yeux de leurs maris et ces derniers de céder aux avances de l’impératrice. La mère prodigue est effacée par la « prostituée ». Ceci permet notamment aux contemporains de Messaline de dénoncer l’influence maternelle de ces impératrices-mères, qui, en tant que telles, se sont heurtées à d’autres mères pour favoriser les droits à la succession de leur progéniture. Ainsi, l’Histoire a gommé les traits maternels de Messaline en mettant l’accent sur une débauche et une avidité imaginaires ; ses enfants ne comptent pas et la preuve en est qu’ils seront tous deux victimes du futur Néron. Sans doute la grande jeunesse de Messaline et la différence d’âge avec Claude ont-ils favorisé cette interprétation des faits. Les auteurs anciens ont toutefois sciemment utilisé une caractéristique typiquement féminine (la maternité) pour salir la mémoire de l’impératrice, exprimant ainsi leur peur viscérale à l’égard de la sexualité féminine

Ainsi, et sans surprise, c’est l’image de la “femme dépravée” qui l’emporte chez les hommes des siècles postérieurs, dans la littérature, la peinture et le cinéma. Le cinéma fait d’elle une « mangeuse d’hommes », affolée par ses sens et incapable de se dominer (sexuellement), à l’écart des affaires, accompagnée d’une image de mère dénaturée. Le terme « messaline » en vient alors à désigner également une femme proche de la folie à cause de ses nombreuses relations adultères. Un très bon exemple de cette fâcheuse réputation est la comparaison de certaines femmes de pouvoir à Messaline. Nous ne prendrons ici qu’un seul exemple, fort mal connu en France du reste : celui de la reine d’Espagne Marie-Louise de Bourbon-Parme. Épouse de Charles IV, elle se démarque par sa forte personnalité au sein du couple, au point qu’elle fut comparée à Marie-Antoinette, et Charles IV à Louis XVI, alors roi de France. Lorsque Marie-Louise s’éprend de Manuel Godoy, elle devient la cible de tous, excepté de son époux, lui-même sous le charme du nouvel amant de sa femme. Dès lors, toute l’Europe n’a de cesse de ridiculiser la nouvelle Messaline. Recueillie par Napoléon Ier à la suite d’une révolution de palais, la reine déchue fait l’objet d’une satire féroce de la part de l’empereur, dont les frasques sont interprétées par ses contemporains masculins comme un signe de bonne santé, tandis que celles de Marie-Louise dénotent sa fureur amoureuse. L’impératrice Messaline, femme de pouvoir et épouse d’un homme complaisant, est utilisée tant du côté français qu’espagnol à l’époque de la Révolution pour pointer du doigt l’influence jugée néfaste des reines ou des favorites.

La plupart des médias se sont emparés de l’image de Messaline qui figure en bonne place aux côtés des femmes fatales telles que Hélène de Troie et Cléopâtre. Ainsi, nombre de peintres du XIXe siècle choisissent de représenter des moments bien précis (et inventés) de la vie de l’impératrice, participant ainsi à entacher sa réputation. Prenons deux exemples : le premier est un tableau de Georges-Antoine Rochegrosse, peint en 1916, intitulé La mort de Messaline. Notre impératrice figure une femme égarée, dont la chevelure détachée, les yeux exorbités et le vêtement rouge s’opposent à ceux des autres figures de la scène. Les cheveux libres de Messaline sont une allusion à ses mœurs débridées (les Romaines cachent leur chevelure quand elles sortent). Deuxième tableau, celui de Joaquin Sorolla y Bastida, Messaline dans les bras du gladiateur. Nous sommes interpellées par la passivité de celle qui lutta pour les droits de ses enfants : alanguie, l’impératrice offre sa poitrine dénudée au gladiateur qu’elle a choisi. Active lorsqu’il s’agit de séduire des aristocrates, Messaline retrouve la passivité assignée de tous temps aux femmes face à un simple gladiateur.

La vie de l’impératrice a donc été salie, réduite et largement réécrite par des hommes, qui ont vu en elle un danger à abattre. En effet, discréditer une femme, en la calomniant et en lui jetant l’opprobre, n’est-il pas le meilleur moyen de l’empêcher d’être (re)connue et d’éviter ainsi que d’autres femmes – oh malheur – puissent éventuellement s’en inspirer ? 

Mépriser l’intelligence, l’ambition et l’influence d’une femme, nier même la place qu’elle a occupée, c’est délibérément occulter une partie de l’Histoire, insulter sa mémoire, et par extension notre matrimoine. C’est aussi consacrer l’assignation des qualités et des compétences politiques, qui seraient l’apanage exclusif du sexe masculin, et effrayer le peu de femmes qui se risqueraient à marcher sur leurs plates bandes en brandissant la menace du rejet social. Pas d’étonnement donc à ce que très (très) peu de femmes aient pu accéder au pouvoir. Un constat qui se conjugue toujours au présent…

Car on oserait espérer que ces pratiques masculinistes s’éteindraient avec l’époque de Messaline…mais les actualités nous prouvent tous les jours que ces méthodes sont toujours à l’oeuvre. Les hommes ont besoin d’évincer et d’exclure les femmes des domaines qu’ils se sont stratégiquement appropriés, afin de continuer, seuls, à dominer. Gare à celle(s) qui s’écarterai(en)t du chemin qu’ils ont tracé pour nous ! Les représailles on l’a vu, sont impitoyables, et les masculinistes d’aujourd’hui n’ont rien à envier à ceux d’hier : toujours la même haine, déversée impunément, les mêmes insultes et inversion de la violence voire de la réalité; tout est bon pour écraser celles qui osent se comporter différemment de ce que la société patriarcale exige d’elles. 

Une de nos armes à déployer ? Faire valoir notre matrimoine pour nous rendre justice !

Estelle

Bibliographie :

Dauxois Jacqueline, Messaline, Pygmalion, 2002.

Schmidt Joël, Femmes de pouvoir dans la Rome antique, Perrin, 2012.

Peplums :Messaline, film de Carmine Gallone, 1951.

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