Douce-amère victoire : réaliser l’ampleur de la pornographie

Attention : cet article décrit les pratiques d’une industrie criminelle qui commet des violences contre les filles et les femmes. Sa lecture peut être difficilement soutenable.

La mobilisation féministe contre l’industrie pornographique et pour la protection des victimes de ce système commence à payer. On assiste en France à une prise de conscience des activités criminelles de l’industrie pornographique, comme en témoigne la tribune du 21 décembre 2020 initiée par Osez le Féminisme, et signée par nombre de personnalités. Aux Etats-Unis, suite à la publication d’un article-enquête fouillé du New York Times, la société PornHub a été contrainte de réagir après que MasterCard et Visa ont interdit tout paiement sur la plateforme avec leurs cartes de crédit.

PornHub a supprimé dix millions de vidéos du jour au lendemain, soit environ les trois-quarts de son contenu. C’est une victoire inespérée. D’autant plus qu’elle a été si rapide. Enfin, oui, il y a des décennies d’activisme féministe, bien sûr, mais entre le début de la campagne de TraffickingHub de Laila Mickelwait et l’article sur le New York Times, c’est d’une rapidité jamais vue. Il faut savourer cet instant. C’est la brèche dans le ciel en carton. Cette image vient d’une pièce du dramaturge Luigi Pirandello. Comme dans le Truman Show, le jour où le ciel se déchire, les personnages d’une pièce de théâtre se rendent compte qu’ils sont en fait des marionnettes. La brèche dans le ciel en carton, c’est l’ouverture d’une possibilité, la faille dans le système, le début de la fin, le signe dont nous avions besoin. Face à ceux qui nous traitaient de folles, qui nous ont épuisé avec leurs non-arguments, face aux témoignages entendus… nous avons enfin vu qu’ils ne sont pas invincibles. C’est donc une victoire à savourer. 


Et pourtant… 

75% du contenu a été supprimé car 75% du contenu n’était pas vérifié. On connaît bien la tâche titanesque de Facebook et autres pour la vérification des publications. Comment peut-on croire que des proxénètes vont s’atteler méticuleusement à la tâche ?


Dix millions de vidéos. 

La pornographie, la représentation graphique des porne, ces femmes violées à mort dans la Grèce Antique, est l’espace suprême de la misogynie sans entrave. Des hommes urinent sur des femmes, des hommes pénètrent des femmes jusqu’à l’épuisement de celles-ci, des hommes forcent des femmes à être pénétrées par des animaux (chien ou cheval), des hommes passent des sacs en plastique sur la tête des femmes, des hommes font ingurgiter des matières fécales aux femmes. 

La réalité dépasse toujours la fiction. Dix millions de vidéos, c’est bien la preuve que tout est vrai — que ce ne sont pas des fantasmes. Avec les violences masculines, des centaines de milliers de femmes doivent s’insurger pour qu’enfin le système commence à être ébranlé.

Dix millions de vidéos. 

Combien de femmes ? Il y a près de douze millions d’habitant.e.s dans la région Île-de-France. C’est-à-dire que même si toutes les filles et les femmes finissaient dans une de ces vidéos, il n’y en aurait pas encore assez. D’où viennent ces femmes ? Qui sont-elles ? Quelles sont ou quelles étaient leurs aspirations ? Qu’en reste-t-il ? 

On me promet que toutes ces femmes sont volontaires. Mais comment pouvez-vous le savoir ? C’est la fable du voile adapté à la pornographie : une femme en voile dans une société patriarcale, tenait sur sa tête une prison bancale ; le libéral embêté s’attela à démontrer que tout cela émanait bien de sa volonté… Si une pratique ne peut être défendue qu’en ayant recours à des arguments sexistes, elle n’a pas lieu d’être. Parler de la volonté des femmes et jamais de celle des hommes est la preuve ultime de la détermination sexuelle. Parler de la volonté des femmes alors qu’il s’agit bien de celle des hommes c’est noues nier une existence indépendante. 

Qui sont ces filles et ces femmes ? Comment faisons-noues pour ne jamais noues poser cette question ? 

Elles sont noues, noues sommes elles. 

Comment faisons-noues pour ne pas noues reconnaître dans ces vidéos ? Sommes-noues si détachées de nous-mêmes pour ne pas en souffrir ensemble ? Comment pouvons-noues être excitées par notre propre humiliation ?

Virginia Woolf disait que les femmes noues sommes le miroir déformant des hommes : ils noues regardent et se voient décuplés, noues tiennent subordonnées pour se sentir supérieurs. Si les femmes sommes le miroir déformant des hommes, alors la pornographie est le miroir qui reflète véritablement notre condition à noues les femmes.

Ne pas éprouver d’empathie pour les femmes que noues voyons à l’écran, c’est simplement ne pas noues reconnaître dans la glace. Quand noues noues regardons dans le miroir noues ne noues voyons pas. Sur cette affiche, sur cet écran, dans ce coin de rue ou dans une soirée entre amis, ce n’est jamais noues qui sommes blessées. Si dissociées que le mâle coule sur notre peau

Notre “jusqu’ici tout va bien” à noues c’est le mensonge du “c’est pas moi c’est elle”. 

Dix millions de vidéos, presque tout le contenu… 

Douce-amère victoire à savourer.


Yagmur

Pornography not a love story