Un.e enfant ne désire jamais un acte sexuel avec un adulte : il est temps que la loi prenne en compte cette réalité
En 2018, le gouvernement proposait une loi visant, originellement, à lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Promulguée le 3 août 2018, elle était alors largement critiquée par nombre d’associations et d’expertes féministes et défenseuses des droits des enfants, qui alertaient sur les dangers que faisait peser son deuxième article sur les enfants victimes de violences sexuelles. Cette loi fait aujourd’hui l’objet d’une évaluation parlementaire, dont le rapport devrait être rendu le 30 octobre.
Après deux ans de mise en pratique judiciaire de cette loi, cet article revient sur l’urgence d’établir un seuil d’âge de « non-consentement » en droit français, en-dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte sur un.e enfant serait automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol. L’occasion également de questionner la définition de la minorité et du concept de consentement.
Les déqualifications
Alors même que le problème de la correctionnalisation des viols d’adultes est dénoncé depuis (très) longtemps (campagne OLF contre le viol), le gouvernement n’a rien prévu pour y remédier, quand 60 à 80% des viols sont toujours jugés dans un tribunal correctionnel(1). Ceci revient à juger les viols comme s’ils étaient des agressions sexuelles, qui sont des délits, plutôt qu’en cour d’assises où sont jugés les crimes.
Le gouvernement, avec la loi de 2018, a ainsi estimé suffisant d’allonger la peine pour le délit d’atteinte sexuelle, la faisant passer de 5 à 7 ans de prison et de 75 000 à 100 000 euros d’amende (article 227-25 du Code pénal).
Alors que les associations de défense des victimes demandent depuis longtemps plus de moyens pour le système judiciaire, des investissements massifs dans la prévention, la mise en oeuvre de formations obligatoires pour les magistrat.e.s et de véritables mesures d’accompagnement pour toutes les victimes, le gouvernement n’a pas répondu à ces demandes mais par son inaction, perpétue au contraire la cascade des “déqualifications pénales”. Les crimes sont jugés comme des délits, les délits comme de simples contraventions, passant ainsi à un seuil inférieur en termes de prescription et de peines, au mépris des droits des victimes. Les juges préfèrent abonder dans le sens d’une procédure dite facilitée, afin de désengorger les tribunaux, plutôt que juger les faits pour ce qu’ils sont.
Concernant les violences sexuelles commises sur les enfants, une disposition de la loi avait, au moment des débats parlementaires, fait l’objet d’une levée de boucliers unanime de la part des associations et collectifs mobilisés contre les violences pédocriminelles. Il s’agit de l’article 2, qui dispose notamment que :
« Lorsque les faits [l’agression sexuelle] sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.”
« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »
A première vue, rien d’inquiétant, au contraire. On pourrait croire à la lecture de l’article modifié que les mineur.e.s, et en particulier les mineur.e.s de moins de 15 ans, sont protégé.e.s ! Mais c’est sans compter les subtilités de formulation qui font de cet article un véritable piège pour les enfants, qui sont, pour rappel, plus de 154 000 (dont 134 000 filles) à être victimes chaque année de violences pédocriminelles.
Pour une réhabilitation de l‘enfance
L’idée même de consentement (et donc de non consentement) devrait être totalement absente de la législation concernant les mineur.e.s. Par définition, un.e enfant de moins de 15 ans ne peut pas être consentant.e à une relation sexuelle avec un adulte, puisque la notion de consentement présuppose une certaine égalité de pouvoir entre les deux protagonistes. Or entre un.e enfant et un adulte il ne peut y avoir cette égalité. Les pédocriminels invoquent toujours une certaine agentivité, responsabilité, de l’enfant, le fait que l’enfant les “aurait plus ou moins séduits”, c’est leur excuse ! L’exclusion totale de la possibilité de l’agentivité de l’enfant est seule garante d’une réelle protection des enfants contre les violences sexuelles.
En effet, les agressions sexuelles en général ne sont pas conceptualisées comme des agressions mais comme des événements survenant dans des relations : l’on confère donc à la victime une certaine responsabilité, dans ce que lui fait l’agresseur. On considère même que l’agresseur et la victime, quelque soit leur âge, « font » quelque chose ensemble. C‘est pour cette raison que la définition française du viol est une définition négative : pour qu’il y ait viol il faut qu’il y ait pénétration avec « violence, surprise, menace ou contrainte“. La loi permet donc de considérer que tout acte sexuel est consensuel et donc licite sauf exception, et les conditions de ces exceptions sont bien fixes et définies. Cette définition est favorable à l‘agresseur, car la victime doit prouver qu‘il lui a été fait violence, ou contrainte ou qu’elle a été surprise ou menacée.
Plus grave, ces définitions de l‘agression sexuelle et du viol, très favorables aux agresseurs, ont été transposées à la pénalisation des violences sexuelles commises sur des enfants. Et c’est ce que l’article 2 de la Loi Schiappa continue de faire, et d’aggraver. Le Conseil d’État ayant estimé inconstitutionnel un âge seuil de « non-consentement » porté à 15 ans, le gouvernement avait aussitôt abandonné l’idée. De plus cette loi a introduit de nouveaux critères juridiques, par lesquels les juges doivent désormais estimer la “vulnérabilité” de la victime ainsi que l’abus de cette vulnérabilité par l’adulte, et le manque de “discernement » de l’enfant. Ainsi au lieu de fixer une règle permettant de protéger les enfants sans qu’il ne leur soit demandé de prouver quoi que ce soit, cet article cumule les critères, rendant la charge de la preuve toujours plus ardue, et par conséquent l’impunité des agresseurs toujours plus étendue. Un agresseur ou un violeur d’enfant peut, grâce à cette loi, prouver que l’enfant était consentant.e et que c’est celle ou celui qui a été violé.e qui le voulait ou qui a initié l’acte.
Qui est protégé par la loi?
Le Conseil d’Etat ayant jugé inconstitutionnel un seuil d’âge, seule la jurisprudence permet de fixer pragmatiquement l’âge au dessous duquel il n’est pas possible d’invoquer la “séduction” de l’enfant, sa volonté d’avoir un rapport sexuel avec un adulte. En l’absence d’âge limite fixé par la loi on a vu des avocats de violeurs d’enfants invoquer dans les tribunaux la volonté d’enfants de six ans d’interagir sexuellement avec un adulte. Ainsi ils obtiennent l’acquittement du violeur. Et c’est cette décision qui fait jurisprudence. Le Conseil d’Etat et notre constitution protègent-ils les pédocriminels ? C’est pour exclure cette possibilité scandaleuse que les associations demandent un “âge de non consentement irréfragable”.
En effet, les enfants ne sont pas des sujets de droit comme les adultes.
Or petit à petit, la communauté internationale, voyant la réussite des lois et conventions pour promouvoir les droits humains, a créé les droits de l’enfant en 1989 sur le modèle créé pour les adultes, faisant donc glisser le concept de minorité. D‘objet de protection, l‘enfant est devenu sujet de droits, ce qui implique qu‘il soit en mesure de se réclamer de ses droits pour obtenir quelque chose de la société. Lui conférer des droits revient à lui abandonner la responsabilité de les faire appliquer. Or ceci contrevient au principe de minorité. L‘enfant ne peut être à la fois mineur.e à protéger et détenteur.trice de droits. En tant que mineur.e à protéger elle ou il est essentiellement et radicalement dans une autre relation aux adultes : sous leur responsabilité. En tant que détenteur.rice de droits, elle.il est un sujet, comme l‘adulte, ce qui est une grave entorse au principe de la minorité.
C‘est sans doute cette confusion qui a conduit le législateur français à l’impasse où nous sommes actuellement au sujet des violences sexuelles. Si la minorité dispensait réellement les enfants de la responsabilité de leurs faits et gestes, elles.ils ne seraient non seulement pas accessibles à la peine, pas justiciables, mais elles.ils n‘auraient pas non plus d‘agentivité autonome, de faculté de consentir ou de ne pas consentir.
Si les droits de l’enfant ont une pertinence, c’est uniquement dans la mesure où leur application dépend des adultes et d‘eux et elles seul.e.s. Les adultes ont la responsabilité de les faire respecter. Aucun.e adulte ne peut donc se réclamer de ses propres droits humains, contre ceux de l‘enfant. L’adulte devrait être, dans l’interaction avec l’enfant, en plus d’être détenteur.rice de ses propres droits humains, la.le détenteur.rice de la responsabilité des droits humains de l‘enfant. Dans le cas des violences sexuelles, le crime de viol devrait être retenu dans tous les cas sans exception où un.e enfant est victime d’un acte de pénétration par un adulte.
La protection des droits du prévenu devrait être secondaire par rapport à la protection des droits de l’enfant victime.
Le “non consentement” de l’enfant n’est toujours pas érigé en principe juridique
Cependant, la notion même de non-consentement permet de penser celle de consentement, et si l‘on accepte l‘idée même de consentement ou de non-consentement, alors la protection absolue de l‘enfance passe au second plan. Néanmoins, même si cette notion est loin d’être satisfaisante et très lacunaire, fixer un âge limite permettrait, au moins pour le moment, de pallier les actuelles failles juridiques et d’assurer une protection minimale aux enfants : l’enfant.e, en dessous de moins de 15 ans devrait être automatiquement considéré.e “non consentant.e”.
Mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé avec cet article 2 de la loi, qui priorise le droit de l’adulte prévenu, suspecté ou accusé d‘une atteinte sexuelle, par rapport aux droits de l‘enfant. Il crée une brèche de « non-protection“ vis-à-vis d’une catégorie de la population dont la caractéristique principale devrait être justement d‘être absolument protégée.
Il est grand temps d’octroyer à l’enfance la protection absolue qu‘elle mérite.
Dans un pays où seuls 0.3% des pédocriminels (enquête Konbini)(3) sont condamnés, où il y a plus de 4 millions de victimes d’inceste(4), où on le rappelait, 154 000 mineur.e.s (dont 134 000 filles) sont victimes de viols chaque année, on aurait pu espérer que le gouvernement se saisisse de l’occasion pour enfin assurer une réelle protection de l’enfance. Mais la formulation “vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes » permet de catégoriser la victime soit comme “disposant” soit comme “ne disposant pas” du discernement, alors que la réelle prise en compte de la vulnérabilité de l’enfant devrait exclure complètement que l’enfant dispose de ce discernement. De plus la fin de la phrase “pour ces actes” implique encore une fois que l’enfant soit l’acteur de ce qui se passe. Le législateur semble ignorer qu’il s’agit de protéger les enfants d’actes qui sont commis sur elles.eux et non pas de les rendre responsables ou irresponsables de ces mêmes actes. Ce sont ces formulations ambiguës qui créent la brêche de non protection que les pédocriminels ne manqueront pas d’utiliser pour échapper aux sanctions pénales de leurs actes. Il était donc à craindre que cette loi ne fasse que renforcer les pouvoirs et l’impunité des hommes agresseurs et criminels, déjà tout-puissants. Jusqu’à quand devra-t-on supporter un tel mépris envers les victimes, une telle complicité avec les agresseurs ?
Nous réaffirmons l’urgence de l’imposition d’un seuil d’âge minimum, comme l’ont fait d’autres pays (13 ans en Angleterre ou encore 15 ans au Danemark)(5), en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte serait automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol.
Plus largement : la problématique du “consentement”
Nous estimons enfin que la notion de « consentement » au sens large pose de réels problèmes en ce qu’elle sous-entend que ne pas dire non veut dire oui, en conformité avec la conviction très patriarcale que seuls les hommes désirent le coït et que les femmes ne font au mieux que l’accepter. Leur acceptation (appelé consentement) d’un coït est le critère de délimitation entre le viol et le non-viol. Or le consentement peut être manipulé, négocié, obtenu de diverses manières et ne remplacera jamais le désir. Confondre désir et consentement a permis à la culture du viol d’émerger : il en résulte d’énormes difficultés à prendre en compte les souffrances des victimes, les mécanismes de sidération et de dissociation traumatique face à la violence. Car consentir n’est pas désirer. L’acte sexuel mutuellement désiré est le seul souhaitable, légitime et sans ambivalence.
Un.e enfant ne désire jamais un acte sexuel de la part d’un adulte, en revanche un pédocriminel peut le manipuler au point que l’enfant.e ne sache plus exprimer ni même conscientiser son refus. Avoir été violé.e, après avoir été savamment manipulé.e est un traumatisme particulièrement grave, car la manipulation du pédocriminel suggère à l’enfant qu’elle.il a une part de responsabilité dans le viol, et c’est le cas de presque tous les viols d’enfants.
Avec ses formulations malheureuses l’article de loi cautionne ces stratégies criminelles puisqu’il considère l’enfant comme capable de poser des actes et qu’il introduit la possibilité qu’un.e enfant ait le discernement nécessaire.
Le discernement remet en cause la non-responsabilité inhérente à la minorité, rend l’enfant sujet d’un acte potentiellement désiré. Or la question du désir ne se pose pas dans une situation d’infériorité de pouvoir, où se trouve tout enfant vis à vis d’un adulte. Poser la question du désir n’est possible qu’en cas d’égalité des droits (au moins théorique) et surtout d’égalité des pouvoirs concrets.
Florence-Lina Humbert
(1) : Article du Monde diplomatique de 2017 “Quand le viol n’est plus un crime” https://www.monde-diplomatique.fr/2017/11/BOUTBOUL/58085
(2) Dans l’ancien régime les enfants étaient des membres de l’ordre auquel appartenaient leurs parents. Les enfant.e.s des familles régnantes étaient marié.e.s dès l’enfance selon des stratégies visant à maintenir leurs familles au pouvoir, les enfants des classes laborieuses travaillaient dans le corps de métier de leurs pères comme des adultes. Ni les enfant.e.s ni les adultes n’avaient de réel pouvoir sur leurs vies, toutes et tous étaient contraint.e.s par leur position dans l’organisation d’une société féodale.
(3) : Enquête Konbini sur la pédocriminalité, chiffres INSEE 2015 : 154 000 enfants victimes chaque années (2 par classe), seul.e.s 4% portent plainte => seul.e.s 30% de ces plaintes sont instruites => et seules 10% aboutissent à une condamnation. https://www.youtube.com/watch?v=zhWBxS4oJxs
(4) : https://aivi.org/nos-actions/sondages/4-millions-de-victimes-d-inceste.html
(5) : “En deçà de 15 ans au Danemark, de 14 ans en Belgique, Autriche ou Italie, de 13 ans en Angleterre ou de 12 ans en Espagne, la justice considère que l’acte sexuel relève automatiquement de l’agression sexuelle ou du viol.” – https://www.20minutes.fr/justice/2153011-20180213-age-minimum-non-consentement-age-mesure-dire-non#:~:text=Pas%20de%20limite%20d’%C3%A2ge%20en%20mati%C3%A8re%20de%20viol&text=Aujourd’hui%2C%20la%20l%C3%A9gislation%20fran%C3%A7aise,de%20moins%20de%2015%20ans.
Pour comprendre la mémoire traumatique, voir les travaux de la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie : https://www.memoiretraumatique.org/psychotraumatismes/memoire-traumatique.html