COVIDI-SEXISME : Décryptage des images sexistes qui circulaient durant le confinement

Le confinement a vu fleurir un nombre impressionnant d’images, de textes et de vidéos à caractère sexiste, à tel point qu’avec un groupe de collègues du CAAEE (Centre Académique d’Aides aux Écoles et aux Établissements, rectorat de Versailles) nous avons décidé de collecter ces images et messages reçus par divers canaux et personnes, collègues et ami.e.s, durant la période du 18 mars au 11 mai 2020. Ceci, avec la ferme intention d’utiliser ce corpus lors de futures formations afin de déconstruire le sexisme, les stéréotypes de genre et les violences qui se cachent derrière.

Petit retour sur ce « florilège » de « pépites sexistes » qui nous a permis de collecter pas moins de 137 images toutes présentées, bien évidemment, sous le signe de « l’humour »…

Bien que les femmes, aient été en première ligne de par leurs métiers (infirmières, caissières…), elles ont été une véritable cible dans l’opinion publique en étant présentées comme responsables de la pandémie : « ce virus a dû être inventé par une femme qui a réussi à suspendre le football, fermer les bars et tenir son mari à la maison », rappelant ainsi la figure d’Eve comme responsable de la chute de l’humanité. Au delà de tomber dans une facilité déconcertante et déjà largement éculée, ce ciblage systématique des femmes, auréolé des poncifs les plus simplistes et grossiers, est caractéristique de la prégnance du sexisme dans nos sociétés. On aurait pu espérer une évolution en 2020, mais non, il semble qu’il reste important pour les hommes de toujours discréditer les femmes et de leur faire porter l’intégralité des maux sociétaux, en dépit, par ailleurs, des faits et de la réalité – comme nous le démontre justement Laura Demaree, l’autrice du blog “Le refuge des cotons souillés”(1).

On a également assisté à un nombre conséquent d’injonctions sexistes. Ainsi de nombreuses images ont renvoyé les femmes confinées à leur corps. Ce corps auquel elles sont réduites et dont elles doivent prendre “soin” (serait-il malade …?) sous peine d’être présentées comme des sorcières ou des négligées qui ne “se respectent pas” comme sur les images qui les montrent poilues, échevelées et avec des ongles de troll (oui de trolls !) à la sortie du confinement. On découvre alors que “le respect de soi” pour les femmes consiste à se tartiner la peau de produits toxiques ou à s’arracher violemment les poils…
Encore une façon soi-disant détournée mais profondément réelle et ancrée, de contrôler nos corps, nous interdisant de nous “laisser-aller” (comprendre : d’être naturelles). Il ne faudrait surtout pas que nous nous occupions d’autre chose que de nous conformer à l’image policée et uniformisée de “la” femme – mais de quoi ont-ils peur…? 

En plus d’une injonction insupportable, c’est un renvoi à des commandements lunaires pour la plupart des femmes, des travailleuses, qui cumulaient des triples journées pendant de longs mois… Quelle indécence alors d’oser exiger de celles qui travaillaient 10h par jour dans les hôpitaux, de celles qui télé-travaillaient tout en faisant la classe aux enfants, qu’elles ressemblent à des poupées parfaites !

On y retrouve également tout un panel sur le caractère dit “hystérique et tyrannique” des femmes comme ici : « le français est une langue magnifique, j’ai appelé un ami et je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il m’a répondu qu’il travaillait sur «  le traitement aqua thermique des céramiques, du verre, de l’aluminium, et de l’acier sous un environnement contraint » j’ai été très impressionné mais pour mieux comprendre, je lui ai demandé des précisions, et il m’a déclaré qu’en fait, il faisait la vaisselle à l’eau chaude… sous la surveillance de sa femme ».
Bizarrement, aucune image, même, gif, vidéo “humoristique”, n’a été faite par des femmes pour “se moquer de leur bonhomme qui passait le plus clair de ses journées avachi sur le canapé”(2), ou à jouer à la guerre avec ses potes sur la play. 

Peut-être que leur temps à elles était justement trop occupé … 

Bien entendu les femmes sont aussi présentées comme des « idiotes » – ces mêmes “idiotes” qui pourtant gèrent encore majoritairement toute l’intendance des foyers, fournissant ainsi un travail (gratuit) domestique et affectif à toute la famille – et des objets sexuels, certaines images ayant un caractère pornographique et donc violent à peine dissimulé !

Enfin, une autre catégorie d’images a émergé. Elles constituent une sorte d’apologie ou de légitimation des féminicides : les femmes sont des emmerdeuses difficiles à supporter, encore plus en confinement, alors, rien de plus normal que d’avoir des envies de meurtre ! C’est ce que nous montrent ces trois exemples : 

  • Le premier où un homme dit qu’il fait du jardinage car je cite « c’est un peu tendu avec sa femme » et que voit-on sur l’image ? Son « jardinage » a consisté à creuser une tombe ! 
  • Dans le deuxième, on rend hommage à Xavier Dupont de Ligonnès (qui, pour mémoire, a trucidé sa femme et ses enfants) : « Confinement avec ma femme et mes gosses jour 8 : je commence à penser qu’il faut dissocier l’homme de l’artiste concernant Xavier Dupont de Ligonnès ». 
  • Ou encore cette image dans laquelle une femme, penchée au-dessus du lavabo, les cheveux mouillés devant les yeux demande à son mari de lui passer le sèche-cheveux et que celui-ci lui tend… un pistolet !

Il est donc admis, toléré et encouragé de rire des violences et des meurtres des femmes. Ces mêmes meurtres qui, rappelons-le, se chiffrent à une moyenne de 130 par an depuis des décennies (146 en 2019, soit un homme qui a assassiné sa conjointe ou ex tous les deux jours). Alors même que durant le confinement, Le Monde et France 2 ont diffusé les résultats de leurs enquêtes sur les féminicides (3), des hommes trouvaient drôle de minimiser et de banaliser ces violences. “L’humour”, cette arme redoutable de décomplexion de la haine envers les opprimées…

Tous ces exemples illustrent le COVIDISEXISME qui régnait pendant le confinement. Ce n’est pas une surprise mais plutôt un puissant révélateur du sexisme dit ordinaire, mais non moins violent, qui est véhiculé quotidiennement

Restons vigilant.e.s et continuons d’analyser les contenus en gardant à l’esprit qui sont les moquées, en l’occurrence les femmes, et ce que cachent ces moqueries : un besoin d’essentialiser, de hiérarchiser et de continuer d’alimenter la « valence différentielle des sexes » (4) et de faire en sorte que le pouvoir reste aux mains des mêmes.

 Smiraut

Conseillère au CAAEE, membre du groupe Egalité Fille Garçon de l’académie de Versailles.

(1) “Si l’hypothèse du pangolin est avérée, étant donné que l’une des principales « vertus » qui sont prêtées aux écailles de ce pauvre animal est d’être aphrodisiaques, le patient zéro du coronavirus est très certainement un homme qui a sacrifié l’un des derniers représentants de cette espèce pour… bander.” Article #JeSuisPangoline https://lerefugedescotonssouilles.wordpress.com/2020/04/09/jesuispangoline/  

(2) “Et bizarrement – non –, je n’ai pas encore vu passer de vidéos humoristiques faites par des femmes pour se moquer de leur bonhomme qui passe le plus clair de ses journées avachi dans le canapé à se gratter alternativement les couilles et le nez, sans daigner interrompre ce va-et-vient nonchalant entre ses divers appendices ne serait-ce que pour se laver les mains.” https://lerefugedescotonssouilles.wordpress.com/2020/03/24/aux-confins-de-la-misogynie/  

(3) https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/06/02/feminicides-un-documentaire-qui-retrace-un-an-d-enquete-menee-par-une-cellule-d-investigation-du-monde_6041505_3246.html 

(4) Françoise Héritier

Françoise Héritier parle pour la première fois de « valence différentielle des sexes » en 1981, dans un ouvrage intitulé L’exercice de la parenté, qui porte sur les systèmes d’alliance familiale. Héritier fait le constat que toute cette organisation place le masculin en son centre et répond à l’intérêt d’une prévalence sociale des hommes.  

Pour + d’explications : 

Courte explication en vidéo :

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