Sportif, en ligne ou d’échec : le jeu de la ségrégation.
Du foot, du foot et encore du foot.
Mais surtout du foot masculin ! Cette Coupe du Monde 2018 pose nombre de questions et de problèmes : l’accueil par un pays, la Russie, qui ne respecte pas les droits de l’homme et encore moins ceux des femmes, la débauche de moyens consacrés à cet évènement autant (voire plus !) marchand que sportif, la hausse du trafic prostitueur liée aux grandes compétitions, la concentration politique et médiatique autour d’un sujet unique… Il y a beaucoup à dénoncer. Mais la racine du mal ne se trouverait-elle pas.. Chez le mâle ? En tous cas à cette sur-valorisation d’une sportivité virile ? Plus encore qu’une expression de masculinité basée sur le sexisme, notre système sportif actuel organise la ségrégation.
Lorsque l’on dénonce le sexisme dans le sport, qu’il s’agisse du harcèlement ou de l’inégalité du traitement médiatique contre les sportives, on nous oppose souvent que la séparation des sexes, terreau du sexisme, est indispensable en raison des différences physiques et psychologiques innées entre les hommes et les femmes. Cela donne bien souvent envie de proposer à nos interlocuteurs (souvent masculins !) de prendre connaissances des passionnants travaux de Geneviève Fraisse[1] et de Catherine Vidal[2].
On pourrait sinon être belles joueuses et beaux joueurs, faire preuve d’esprit sportif et relever un ou deux défis, tels que la mixité dans les sports, ou donner quelques siècles de rattrapages culturels, salariaux et médiatiques à nos sportives. Est-ce que cela suffirait ? Cela améliorerait sûrement la situation, mais il ne faudrait pas là oublier que les aptitudes sportives, le goût de l’effort, la confiance à occuper l’espace (comme la cour de récré) se construisent dès le plus jeune âge. Et souvent par le jeu. Or, là encore, les arguments en faveur de la ségrégation sexuée sont tout aussi nombreux qu’ils sont faibles. Prenons deux exemples : les échecs et le jeu vidéo en ligne League of Legends. Ces deux jeux ont comme points communs de ne pas faire appel à de grandes capacités physiques, si ce n’est l’endurance face au stress, de se baser essentiellement sur les capacités intellectuelles, d’avoir des entraînements fondés sur la répétition de combinaisons servant à sortir de situations problématiques telles un roi en plein courant d’air ou une Ashe sur laquelle les adversaires s’acharnent. Enfin, ils sont à la fois considérés comme des jeux et des sports. Qui oserait arguer de l’incapacité des femmes à bouger une pièce sur un échiquier ? Ou d’appuyer successivement sur les touches A-Z-E-R / Q-W-E-R de son clavier ?*
Pourtant, avec le développement de ces jeux / sports, leur reconnaissance grandissante, l’afflux d’argent, est venue la séparation des compétitions masculines et féminines. Peut-être par simple habitude ; celle de la séparation systématique entre les hommes et les femmes quand il s’agit de mesurer des performances. Cette séparation permet et entretient l’impossibilité de comparer sur des bases objectives, de voir des femmes dépasser des hommes, d’avoir autant de moyens alloués aux deux sexes… En bref, de battre en brèche les stéréotypes par des exploits sportifs qu’on ne mesurerait pas à l’aune du vagin ou du pénis.
Dernièrement c’est la championne d’échecs Hou Yifan qui a fait entendre sa voix en perdant intentionnellement une partie dans un tournoi ouvert qui, certes était accessible à tou.te.s, démontrait cruellement la différence de traitement entre joueurs et joueuses.
La situation est un peu différente dans cas de LoL, où des joueuses revendiquent la constitution des ligues féminines pour pouvoir exister en tant que pro ou semi-pro, ce qui leur paraît encore trop compliqué dans un univers ultra majoritairement masculin et où le sexisme est aussi discret qu’une Sejuani à la charge. Ayunie rappelle aussi dans cette interview que les joueuses manquent de modèles à suivre.
Alors, foot, athlétisme, jeux d’échec ou jeux en ligne, mesdames, n’hésitez plus.
Et que la meilleure personne gagne ! 😉
Raphaëlle Rémy-Leleu
* J’espère personne. Si vous êtes de ceux-là, vous tombez dans la catégorie des causes perdues.
[1] « Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes », revoir le passionnant reportage d’Arte, en vidéo à la demande en attendant une prochaine rediffusion https://boutique.arte.tv/detail/pourquoi_femmes_plus_petites_hommes
[2] Notamment ses recherches sur la plasticité du cerveau, l’épisode de l’émission de Lauren Bastide « Les Savantes » qui lui est dédié est une excellente introduction au sujet : https://www.franceinter.fr/emissions/les-savantes/les-savantes-15-juillet-2017