Rosen Hicher, survivante et militante contre la prostitution
De la loi Marthe Richard en 1946 à la loi d’avril 2016, quelles évolutions de la prostitution ?
Dans la loi Marthe Richard, les prostituées gardaient le droit de se vendre, mais le racolage était interdit. Quand j’ai commencé à me prostituer, j’avais des clients accrochés à leurs besoins, souvent dans des faisceaux d’addictions multiples : drogue, alcool, sexe. Dans les années 1990 on a vu se répandre la pornographie hyper violente, des dvd étaient en vente chez les marchands de journaux, accessibles à tous, les clients de la prostitution les regardaient et voulaient les mettre en pratique avec une prostituée. C’est à ce moment que la demande de sodomie, zoophilie, et autres pratiques perverses a augmenté et s’est banalisée. Ensuite internet s’est répandu et on n’a même plus eu besoin d’acheter des dvd. Les clients étaient alors étonnés que je leur réponde “non“. Je leur disais que je faisais ce travail pour vivre, pas pour mourir, et que ce n’était pas un hasard si leur femme ne voulait pas. Cette loi remet les choses en place : toutes les violences sont dans le domaine de l’interdit. Qu’on paye la victime ou pas. Les prostituées en France ont maintenant la possibilité de changer de mode de vie, la possibilité d’appeler la police si elles sont en danger, les droits sont les mêmes que pour tout-e citoyen-ne grâce à la suppression du délit de racolage. Le fait que nous étions toujours des délinquantes me traumatisait. Maintenant elles ne le seront plus. Elles auront la possibilité de se faire aider dans le cadre d’un parcours de sortie indispensable pour avancer.
Comment considérez-vous que les stratégies de sortie qui sont prévues par la loi peuvent fonctionner ? Comment avez-vous pu sortir vous-même de la prostitution?
Ce qui m’aurait aidée aurait été que je sois comprise et non jugée, que je puisse sans honte en parler et être soutenue dans mes démarches souvent compliquées. J’en suis sortie grâce à des recherches sur mon passé, sur comment j’en étais arrivée là, pourquoi j’y restais. J’en suis sortie quand j’ai compris que lorsque j’allais me prostituer, je tuais ce corps qui me servait d’outil ! Ce qui m’aurait aidé aurait été justement ce fameux parcours de sortie. Les services sociaux n’étaient pas du tout préparés aux violences et à l’addiction à l’argent, aux peurs du manque. Les travailleuses/rs sociales/ux me disaient que je n’avais pas besoin d’argent puisque j’en avais. Donc ils ne comprenaient pas mon problème. Souvent un éloignement géographique est nécessaire, car on est toujours soumise au jugement des gens qu’on a connus quand on était dans la prostitution. Il faut améliorer la formation des travailleuses/eurs sociales/aux sur les agressions sexuelles et la prostitution, car en général la personne prostituée est polytraumatisée.
Comment suggérez vous de mettre en oeuvre les stages de sensibilisations aux-quels seront « condamnés » les prostitueurs ?
J’imagine très bien la mise en place de stage de sensibilisation un peu comme les stages pour les conduites à risque, parler de la violence vécue par la personne prostituée car imposée par le client, parler de chaque acte non désiré qui à chaque fois tue un peu plus la personne à qui il est imposé. La société va avancer, les garçons ne seront élevés avec aucune autorisation de droit, ni de pouvoir sur la femme. Depuis le 6 avril, les médias refont des émissions qui alimentent le mythe de la prostitution heureuse, avec des femmes gagnantes, c’est signe que notre société patriarcale résiste, le travail de persuasion est très progressif, mais il ne faut rien lâcher. En 2009 j’ai commencé à parler de l’abolition du délit de racolage, et ça paraissait quasiment impossible, on en a fait du chemin depuis !
Propos recueilis par Florence