Moi, lesbienne, la loi me dissuade de fonder une famille
Construire une famille avec un enfant, pas aujourd’hui mais peut-être un jour, ça m’arrive d’y penser. Sans savoir si c’est un vrai désir à moi, ou si c’est seulement le résultat de ma socialisation de femme. En tous cas, ça m’arrive d’y penser.
Oui, mais… je suis lesbienne. Et là, patatras.
Première option : l’adoption. Sauf qu’en France, il y a peu d’enfants à adopter pour beaucoup trop de demandes. Les procédures prennent en moyenne 3 à 5 ans. Et ça, c’est pour les couples hétérosexuels, les cas « simples ». Quand on est une femme ou un homme célibataire, ou (pire !) un couple homosexuel, c’est quasiment impossible. 5 ans après la loi de 2013 qui a pourtant autorisé les couples homosexuels à adopter, moins de 10 familles ont effectivement pu adopter un enfant. Les « conseils des familles », qui examinent les demandes des parents, ont souvent des positions très rétrogrades et bloquent beaucoup de dossiers… quand la demande d’agrément n’a pas déjà été refusée par les services sociaux (parfois aussi, seuls les enfants « atypiques »* sont proposés à l’adoption par ces couples considérés eux aussi comme « atypiques »)… A l’international, il y a également de moins en moins d’enfants à adopter… et de nombreux pays bloquent purement et simplement l’adoption aux personnes seules et aux couples homosexuels.
Deuxième option : la PMA, ou procréation médicalement assistée (insémination artificielle avec don de sperme ou fécondation in vitro). En France, ce n’est même pas la peine d’y penser : en tant que lesbienne, je n’ai pas le droit d’y accéder. Ici, pour pouvoir bénéficier d’une PMA, il faut forcément un homme dans l’équation : ni les femmes seules, ni les couples lesbiens n’y ont accès… C’est pourtant une promesse des différents gouvernements depuis au moins 2012, et ce n’est pas faute de réclamer. Quant aux pratiques dites “artisanales”, elles représentent un vrai danger que je refuse d’envisager : je ne souhaite ni subir un rapport sexuel avec un homme, ni recourir à un donneur volontaire qui éjaculera dans une éprouvette en direct dans ma salle de bain, ni acheter du sperme dont je ne connaitrais pas la provenance sur internet.
Il faudrait donc que ma compagne et moi nous rendions dans un pays qui autorise la PMA à toutes les femmes. Souvent, les couples de lesbiennes choisissent l’Espagne ou la Belgique pour leur proximité avec la France. Dans les deux cas, c’est la galère :
- Entrer en parcours PMA nous fait basculer dans l’illégalité du point de vue de la loi, ce qui est évidemment stressant à vivre… alors que nous souhaitons simplement, par principe d’égalité (principe normalement garanti par l’Etat), accéder à une pratique déjà autorisée en France à d’autres couples.
- Le coût financier est démesuré, entre une procédure non prise en charge par l’Etat et de nombreux allers-retours à organiser bien souvent au dernier moment.
- Il nous faudra trouver un.e gynécologue en France, prêt.e à effectuer les prescriptions médicales nécessaires (stimulation ovarienne notamment), en toute illégalité.
Et même ensuite, si je suis enceinte et que la grossesse arrive à son terme (en France, 15 % des grossesses se terminent en fausse couche), rien n’est gagné. Ma compagne, la deuxième maman, celle qui n’a pas porté l’enfant, ne sera pas reconnue par la loi comme le parent de notre enfant. Commence alors une longue démarche d’adoption, qui dure en moyenne 1 an, et qui (au passage) impose aux mères d’être mariées. Evidemment, pendant ce temps, s’il m’arrive quoi que ce soit ou si nous nous séparons, c’est le drame…
Cette procédure d’adoption, elle n’est d’ailleurs pas de tout repos. Au programme :
- La constitution d’un dossier béton, prouvant par A + B que ma compagne est belle et bien la maman de cet enfant, et qu’elle a les moyens de s’en occuper. Il faut donc y insérer certificat de mariage, fiches de paie, photos (avant, pendant et après la grossesse, au cas où), attestations de membres de l’entourage certifiant que notre couple est bien un vrai couple qui s’occupe bien de notre enfant, etc.
- En général s’ensuit une enquête sociale, et donc une convocation à la gendarmerie ou au commissariat (comme si nous lesbiennes étions accusées de quelque chose). Les interrogatoires, car il s’agit bien de cela, sont parfois rapides… parfois pas.
- Après cette convocation, place à la visite à domicile, pendant laquelle les officier.e.s de police ou de gendarmerie vérifient qu’il y a bien de quoi accueillir l’enfant (qui est déjà là, donc) dans le logement et que tout semble “normal”…
- Parfois, il y a également une convocation devant la/le juge, et de nouvelles questions sont posées à l’aspirante maman…
Après toutes ces étapes épuisantes, peut-être que la reconnaissance légale de notre famille serait actée… Alors seulement, nous obtiendrions un livret de famille comportant nos 3 noms. Evidemment, il faudrait tout recommencer si nous envisagions d’ajouter un.e 4ème membre à notre famille.
Alors voilà, voilà pourquoi je me bats pour que la PMA soit enfin ouverte à TOUTES les femmes, en France aussi. Parce qu’en l’état actuel des choses, se lancer dans un parcours de PMA est un véritable parcours de combattantes. Y penser me dissuade totalement ne serait-ce que d’ENVISAGER d’accueillir un enfant, au même titre que tous ces couples hétérosexuels auxquels on n’impose ni mariage, ni voyage, ni adoption de leurs propres enfants.
De nombreux couples de femmes ont écrit leurs galères de parcours PMA… Je vous conseille :
- L’abonnement aux comptes Twitter et Instagram de @DemandeATesMeres
- La lecture de cet article, celui-ci ou encore celui-là
- L’écoute des podcasts Il était une fois la PMA et L’autre mère.
Il est aussi toujours possible de signer la pétition lancée par Osez le féminisme ! pour demander la PMA pour toutes les femmes. C’est par ici !
E.
* C’est ainsi que sont désigné.e.s les enfants en situation de handicap ou les enfants de plus de 5 ans