L’exploitation domestique

Depuis les années d’essor de la deuxième vague du mouvement féministe, malgré le militantisme, les actions, les dénonciations, dans les foyers quand il s’agit de travail gratuit des femmes, force est de constater que les choses ont peu changé. La société attend toujours des femmes en 2020 qu’elles fournissent au sein de leur famille un immense travail domestique, de la cuisine au soin des enfants, tout leur incombe. Elles restent perçues comme les garantes de la bonne marche du ménage, les gants de nettoyage vendus en grande surface sont toujours rose bonbon et les publicités pour produits ménagers ciblent bien entendu les femmes. Tout nous rappelle à  l’ordre, quand bien même aurions-nous conquis le droit de faire des études et de travailler, nous devons rester de bonnes ménagères. Le système patriarcal nous en intime chaque jour l’ordre, ce dossier dresse un état des lieux de la question de l’exploitation domestique des femmes: où en sommes-nous ?

L’exploitation domestique aujourd’hui, l’analyse de Christine Delphy

Christine Delphy, depuis la parution de L’ennemi principal en 1970 (1), n’a cessé d’interroger le travail gratuit des femmes en patriarcat. La parution récente de L’exploitation domestique (2) co-écrit avec Diana Leonard est venue actualiser les connaissances sur le sujet. Delphy s’est récemment exprimée dans la revue Multitudes (3), que dit-elle de l’exploitation domestique aujourd’hui ?

Dans les sociétés, les hommes sont les premiers bénéficiaires de l’oppression familiale des femmes : toutes les femmes ont en commun de devoir accomplir gratuitement le travail domestique qui leur est dévolu, tout en prenant soin des enfants et en offrant aux hommes ce que Delphy appelle des “services sexuels et affectifs”. Cette appellation est sujette à caution car elle ne prend pas en compte la problématique du viol conjugal, elle est à comprendre dans le contexte d’analyse de la deuxième vague du féminisme.

Ces activités ne sont pas prises en compte dans le calcul du PIB, bien qu’elles soient considérables. Le travail ménager diffère du travail professionnel par sa gratuité et par le fait qu’il est quasiment toujours accompli par des femmes : c’est l’ensemble des tâches quotidiennes effectuées afin d’entretenir le foyer. Le travail domestique englobe tout le travail réalisé dans une unité familiale (y compris le travail affectif, le travail familial), effectué au bénéfice du chef de famille par celles qui dépendent de lui. Tous ces types de travail sont déterminés par la domination masculine, la hiérarchie patriarcale.

Aux commencements du mouvement féministe, les militantes de la première vague étaient surtout préoccupées par l’obtention du droit de vote, c’est à compter de la deuxième vague que le mot “patriarcat” est devenu synonyme d’exploitation systématique des femmes. Au sens large il désigne aussi la domination d’hommes âgés sur l’ensemble de la vie sociale. 

L’exploitation ne peut se mettre en place d’elle-même : lorsqu’un groupe social instrumentalise un autre groupe social à ses fins, il se doit de formater les individus qui le composent. Le patriarcat agit ainsi en plaçant les femmes en situation de double contrainte, dans laquelle toute tentative de rébellion les expose à de la répression. En patriarcat, les femmes s’exposent moins à collaborer qu’à résister ouvertement aux hommes. Les violences masculines à l’encontre des femmes et des enfants, qu’elles soient physiques ou sexuelles restent très répandues…Pourtant les rapports familiaux demeurent stables car ils relèvent d’une hiérarchie héritée du passé. 

La pression au mariage constitue un formatage de premier ordre. D’après Christine Delphy, le mariage constitue la base légale de l’exploitation familière et familiale des femmes et des enfants par les hommes. Si les femmes ont à une certaine époque été considérées comme des biens, alors qu’aujourd’hui elles sont supposées être dans une relation égalitaire avec les hommes, elles sont toujours gouvernées par ceux-ci. Il est attendu des femmes qu’elles fournissent gratuitement aux hommes du travail domestique, affectif, sexuel dans le cadre du mariage. Lorsque les hommes se marient, ils effectuent deux fois moins d’heures de travail domestique que quand ils vivaient seuls, alors que c’est le contraire pour les femmes : elles travaillent deux fois plus, les femmes mariées se voient dépossédées de leur force de travail. Les rapports de sexe et d’amour sont construits socialement et permettent la perpétuation de la domination des hommes sur les femmes par le biais du mariage. Elles sont opprimées car attachées économiquement et affectivement aux hommes. La société continue à pousser les femmes au mariage et leur infliger des injonctions à la féminité ainsi qu’à l’hétérosexualité, ce qui permet aux hommes de continuer à obtenir une infinité de services gratuits de la part des femmes. Celles qui refusent le mariage, parce qu’elles sont lesbiennes ou veulent rester célibataires, sont très stigmatisées socialement, quand elles ne sont pas agressées. 

Delphy distingue l’exploitation capitaliste de l’exploitation patriarcale, qui selon elle, relève de deux systèmes différents : l’exploitation patriarcale est foncièrement brutale, et se fait par le biais du mariage. Le patriarcat et le capitalisme, bien que distincts l’un de l’autre se mêlent, ils entretiennent une relation réciproque d’influence, de structuration mutuelle. Il y a bel et bien conflit entre patriarcat et capitalisme, conflit qui se solde par une augmentation du nombre d’heures travaillées par les femmes dans les deux systèmes, donc par une augmentation globale du nombre d’heures travaillées par les femmes. Si les femmes ont fait leur entrée sur le marché du travail, leur travail reste soumis à une appropriation coutumière. Le patriarcat repose sur le contrôle de la force de travail des femmes par les hommes, qui se fonde lui-même sur l’exclusion des femmes de l’accès aux ressources productives économiques. Bien que miné par le capitalisme, il résiste et se transforme en tant que système. Le travail capitaliste étant genré, et basé sur l’exploitation, il ne constitue donc pas une véritable solution pour les femmes. Le système capitaliste pour sa part repose sur la propriété privée des moyens de production, il place les individus en insécurité économique, ils sont alors tenus de travailler et perdent la plus-value générée par leur travail ainsi qu’une part de leur liberté.

En conclusion, on peut observer que les femmes restent assujetties au système patriarcal comme pouvaient l’être les femmes ayant vécu il y a cinquante ans quand il s’agit de travail domestique. La société se repose sur les femmes quand il s’agit de reproduire la force de travail, le fait que les femmes aient pu accéder au marché du travail depuis la deuxième vague du mouvement féministe n’a pas restreint l’exploitation domestique dont elles faisaient l’objet. Les femmes doivent à présent fournir une double journée de travail là où leurs compagnons n’en font qu’une. A quand une grève domestique ?! 

Christine

Bibliographie :
1. L’ennemi principal : Tome 1, Economie politique du patriarcat, 26 septembre 2013, Syllepse.
2. L’exploitation domestique, chez Syllepse, Collection : « Féminismes et genre », Auteures : Christine Delphy, Diana Leonard, Parution : mai 2019
3. « La longue durée de l’exploitation domestique », Multitudes, 2020, n°79, p 205-210.pas le tien) : https:// www.youtube.com/watch?v=tLzj3CstC7o