Les femmes face aux violences économiques à l’heure de la pandémie
Les violences conjugales sont maintenant fréquemment abordées dans la sphère publique, bien que le traitement médiatique de ces affaires reste souvent très insatisfaisant, partial et empreint de misogynie. Néanmoins un aspect des violences conjugales reste relativement peu documenté, il s’agit des violences économiques. Quelles réalités recouvrent-elles ?
Dans les représentations véhiculées auprès du grand public, les violences conjugales peuvent être physiques, psychologiques, sexuelles, mais les violences qui concernent l’indépendance financière de la victime sont rarement envisagées : elles peuvent par exemple consister à empêcher la victime d’accéder à son compte en banque ou d’effectuer ses démarches administratives. Ces violences spécifiques achèvent le processus d’emprise sur la victime et lui ôtent toute possibilité matérielle d’émancipation.
Les violences économiques débutent souvent à bas bruit, de façon sournoise : la femme victime peut se retrouver dans l’impossibilité d’accéder à un compte joint, ne pas connaître le montant exact des ressources du couple. Elle se voit privée des revenus auxquels elle a droit, voire exploitée économiquement par l’agresseur et sa famille, qui peuvent détourner à leur profit l’argent du ménage. Les conjoints violents peuvent aussi dissimuler les opérations financières qu’ils effectuent sur des comptes communs. Les processus de dématérialisation actuellement très fréquents dans le monde financier et administratif facilitent la tâche aux agresseurs, qui peuvent sans l’accord de leur compagne changer leurs mots de passe et bloquer l’accès à leurs espaces personnels virtuels. Bien des agresseurs ont réussi à faire « disparaître » administrativement leur compagne en la privant d’accès à tous les sites vitaux tels que ceux de la sécurité sociale, des impôts, de la CAF, de leur banque… Les femmes victimes de ces pratiques se voient dans l’impossibilité de reprendre leur vie en main, l’agresseur ayant pris le contrôle de leur existence en ligne. Dans les cas les plus graves, certaines victimes se sont même vues confisquer leur propre argent par leur agresseur. Les violences économiques comme toutes les autres violences sexistes ont une dimension systémique, globale, elles impactent l’ensemble de la société et elles peuvent continuer même après la séparation, quand l’ex-conjoint continue à exercer son emprise sur la victime en lui créant des problèmes administratifs. Les agresseurs peuvent aussi adopter des comportements passifs/agressifs en refusant d’effectuer des démarches administratives qui pourraient aider la victime à retrouver sa liberté suite à la séparation.
Plus globalement, les violences économiques sont un élément clé du processus d’emprise, qui permet à l’agresseur d’avoir un contrôle absolu sur la victime. Ces agressions sont facilitées par le fait que de nombreuses victimes n’ont même pas conscience que ces pratiques relèvent de la violence conjugale, elles sont néanmoins graves et traumatisantes et peuvent laisser des séquelles durables. Juridiquement parlant, les victimes même une fois sorties du processus d’emprise, constatent alors à quel point le système les protège peu de ces agissements, l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales est d’autant plus efficace qu’il facilite la conscientisation par rapport à ce type de violences. D’un point de vue législatif, à ce jour, aucune loi ne protège les femmes contre ces violences particulières et redoutables, les femmes qui en ont été victimes doivent mener de longues batailles administratives afin de reprendre le contrôle de leur vie et leur autonomie financière. D’après la tradition, en France, le vol entre époux n’existe pas, mari et femme sont solidaires en tout, or la réalité des violences économiques dans les couples montre bien le contraire : le mariage reste la zone de non-droit par excellence, le lieu de tous les dangers pour les femmes. (1)
La pandémie de COVID 19 a malheureusement vu une augmentation sensible des violences conjugales, y compris donc des violences économiques faites aux femmes. D’après l’ONU, en France, les signalements de violences conjugales mesurés par le nombre d’appels téléphoniques ou de plaintes déposées ont connu une augmentation de 30%. Les annonces dithyrambiques d’Emmanuel Macron sur le sujet dissimulent mal le manque de moyens face à cette aggravation des violences ; en ces temps de confinement, de couvre-feu et autres mesures sanitaires, les femmes privées d’indépendance économique ne sont que plus fragilisées et isolées. L’année dernière, lors du Grenelle contre les violences conjugales, le gouvernement s’était engagé à lutter contre ces violences, il a été question de créer un fonds d’indemnisation, de légiférer contre les violences économiques faites aux femmes, de former les établissements bancaires sur ces questions. A ce jour, tous les amendements ayant pour but la reconnaissance de ces violences ont été refusés par le gouvernement, bien qu’un groupe de travail constitué à l’occasion du Grenelle se penche sur le sujet. Une fois de plus, derrière les effets d’annonce et les parades des politiques dans les médias, rien n’est concrètement fait pour protéger les femmes qui restent démunies face à des agresseurs ayant toutes les cartes en main. En juin 2020, une mesure devant faciliter l’indépendance financière des femmes victimes de violences conjugales a été publiée au Journal Officiel : elle devrait permettre aux victimes de débloquer de l’épargne salariale en cas de violence conjugale. Quand on sait que 51% des victimes sont privées d’emplois, on ne peut que déplorer l’insuffisance de cette décision. (2)
Si l’analyse féministe des phénomènes sociaux permet une prise de conscience concernant les violences économiques, un travail institutionnel reste à faire pour que le gouvernement joue son rôle qui est de garantir la sécurité des femmes, il ne suffit pas de multiplier les rodomontades dans la presse, il est urgent d’agir de façon concrète.
Christine
Bibliographie :
1. http://www.slate.fr/story/196552/violences-economiques-administratives-conjugales-masculines-emprise-argent-couple
2. https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/ les-violences-economiques-faites-aux-femmes-uneforme-de-violence-conjugale-meconnue-149237.html