INTERVIEW : Chloé, Karina, Anne et Théa des femmes qui comptent au Printemps Écologique
Elles se sont engagées au Printemps Écologique avec l’ambition de faire bouger les entreprises sur les enjeux sociaux et environnementaux. Dans un paysage syndicaliste traditionnellement masculin, nous voulons faire entendre la voix de ces quatre femmes qui prennent leur place, accompagnées d’Anne Le Corre, l’une des co-fondatrices.
Quels sont vos parcours militants ? Pourquoi avez-vous rejoint cet éco-syndicat ?
Anne J. : Printemps Écologique est ma première expérience militante. Avant j’étais juste aux manifs. J’ai adhéré dès sa création, en soutenant financièrement le projet puis en intégrant l’équipe bénévole. J’étais frustrée par la contradiction entre mes valeurs écologiques et le fonctionnement extrêmement polluant de mon travail (NDLR: industrie du cinéma). Les syndicats me paraissaient être de grosses machines compliquées et défendant des sujets que je ne comprenais pas. En plus de proposer un moyen concret et nouveau, PÉ est facile d’accès et moderne dans son fonctionnement.
Chloé D. : J’étais sensibilisée à l’écologie et travaillais sur des projets de transition énergétique. Je « faisais ma part » sans penser de manière globale. Adhérer à PÉ m’a aidée à comprendre la dimension collective de la transition écologique et m’a donné accès à l’outil puissant du syndicalisme. Avant quand je pensais syndicat, l’image qui me venait était un homme à moustache. J’avais fait l’amalgame entre personnalités du monde syndical et syndicalisme. J’ai été étonnée de rencontrer un groupe jeune et mixte et me suis rendue compte de l’ampleur de ce mouvement.
Karina G. : J’étais déjà syndiquée chez Sud Mutualité et impliquée à la CFE CGC1 qui recherchait quelqu’un·e avec une expérience pour non-cadres. Leur idée était bonne mais il y avait une trop forte dichotomie entre idées et actions de la fédération nationale et les antennes locales. Puis j’ai découvert en 2020 ce syndicat créé autour de valeurs qui me ressemblent ! Le duo gagnant syndicalisme et écologie, pour aider les autres et la planète.
Théa L.: Je suis bénévole aux Restos du Cœur et à la Fondation des Femmes. Je pensais qu’il n’était pas réaliste de changer les entreprises de l’intérieur alors pour mon 1er emploi j’ai choisi une entreprise orientée monde durable. En découvrant l’outil syndical, j’ai réalisé que c’était trop catégorique : les salarié·es bénéficient avec CSE3 et délégué·es d’un levier puissant pour le dialogue social. Je participe donc à structurer PÉ depuis sa création. Nos réflexions sur nos modes d’organisation et prise de décision m’ont faite grandir. Je travaille sur la gouvernance, l’organisation de mon syndicat de branche et sur de l’opérationnel.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses même si l’accès aux responsabilités reste difficile « dans ce monde de moustachus ». Quels sont vos leviers contre ce patriarcat qui pèse sur le travail, le syndicalisme et la planète ?
K.G : Etre une femme, militante, écologiste… soulève à chaque fois des obstacles et c’est pire quand on cumule ! Dans le syndicalisme, la domination masculine est monnaie courante. Alors pour moi, l’éco-syndicat est un levier qui permet aux salariées de reprendre un certain « contrôle » : d’être incluses dans les prises de décision des entreprises en y apportant nos voix et revendications.
C.D: Je n’ai pas personnellement ressenti de discrimination directe en associations écologistes, j’y trouve ma place en tant que femme. J’ai même souvent rencontré des militant·es à la fois écologistes et féministes. Par contre, le militantisme est souvent guidé par des personnalités fortes et charismatiques, qui osent se mettre en avant. Le problème est que c’est considéré comme « viril » et soi-disant incompatible avec la féminité qui devrait être dans l’empathie, la discrétion. Et dans l’imaginaire collectif, le syndicalisme est encore cette « lutte virile » incarnée par un visage d’homme. Notre vision chez Printemps Écologique dépasse le schéma classique de la confrontation. Sans chef unique, nous proposons un syndicalisme réellement collectif. Il me semble que toutes les femmes salariées, quelle que soit leur personnalité, peuvent s’y retrouver.
Pourquoi est-ce important que les sujets sociaux et environnementaux soient discutés par des femmes, depuis leurs points de vue et expériences ?
C.D : Cela montre aussi que des femmes sont tout à fait à l’aise sur des sujets techniques. Par exemple, en ayant travaillé dans des centrales photovoltaïques et les systèmes de stockage d’énergie, je connais bien l’empreinte environnementale de ces équipements et suis capable de traiter des sujets de transition énergétique. Je souhaite engager au sein de mon entreprise une réflexion autour de la sobriété, des low-techs ou «technologies appropriées », pour des technologies plus simples et moins énergivores.
A.J : Dans le cinéma, les professions majoritairement masculines sont mieux représentées et mieux défendues que les professions majoritairement féminines. Les écarts de salaires sont alarmants. On le voit entre postes dits «masculins» (machiniste, électricien, chef op…) très présents dans les syndicats, et postes dits « féminins » (maquilleuse, habilleuse, scripte…) quasiment absents du dialogue social et souvent plus précaires.
Curieusement, pour des films prestigieux à gros budget, on retrouve beaucoup d’hommes chefs de poste dans des départements dits féminins et les femmes au rôle d’assistantes. Donc oui, l’engagement des femmes est absolument nécessaire pour bousculer le statu-quo. Par exemple, #MeToo a été capital et a engendré des associations (Matermittentes, Collectif 50/50) qui pèsent pour la transformation de cette industrie. Chez Printemps Écologique-Cinéma et Audiovisuel, nous sommes une majorité de femmes et luttons pour une accélération de la transition écologique. Nous lançons une pétition pour un bilan carbone obligatoire de toutes les productions. C’est le prérequis pour la transition écologique et sociale de notre industrie, et nous allons continuer !
INTERVIEWÉES PAR ANNE-LISE RIAS (PRÉSIDENTE OSEZ LE FÉMINISME! 63
#OLF58
Sources :
1. Amandine Mathivet : Au turbin ! , Le podcast qui parle du travail https://play.acast.com/s/au-turbin
2. Confédération Française de l’Encadrement, Confédération Générale des Cadres
3. Comité Social et Economique, instance représentante du personnel en entreprise de plus de 11 salarié·es
4. Philippe Bihouix : Start-up nation ? Non, low-tech nation !, Socialter, 2019.
5. Le cinéma et l’audiovisuel pour un bilan carbone obligatoire ! https://agir.greenvoice.fr/petitions/le-cinema-et-l-audiovisuel-pour-un-bilan-carbone-obligatoire