Interview : Alyssa Ahrabare

European Network of Migrant Women

Pas encore 30 ans et un engagement pourtant exemplaire : Alyssa Ahrabare est consultante internationale pour les droits des femmes, travaille au sein du réseau européen des femmes migrantes (European Network of Migrant Women : ENOMW), est co-responsable du mouvement Radical Girlsss et porte-parole d’Osez le Féminisme ! Nous avons eu la chance de la rencontrer :

Quelles sont les activités du Réseau ENOMW ? C’est une plateforme qui rassemble une cinquantaine d’organisations membres, dont l’objet principal est la défense des droits des femmes dans 26 pays d’Europe. Ce sont principalement des organisations de terrain qui viennent en aide aux femmes migrantes pour les accompagner dans les différentes étapes de leur parcours d’intégration ainsi que des associations de plaidoyer comme Osez le Féminisme ! et des femmes engagées à titre individuel qui viennent de tous les continents. Nos missions principales sont d’augmenter notre capacité à travers la participation et l’écriture de rapports et documents de recherche, de mettre en œuvre des projets à l’échelle européenne contre le trafic humain, pour la participation politique des femmes migrantes, leur intégration économique, etc, et d’effectuer un travail de plaidoyer auprès de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe.

Quelle est la place des femmes migrantes au sein d’ENOMW ? L’autoreprésentation est la valeur première du réseau : un réseau constitué par et pour les femmes migrantes qui va toujours chercher à faire participer les femmes migrantes à nos décisions et nos actions. Par exemple, en 2017, un groupe s’est créé au sein du réseau, les « Radical Girlsss », par des jeunes femmes migrantes âgées de 19 et 29 ans qui œuvrent plus spécifiquement pour les jeunes migrantes sur des questions comme le mariage forcé, l’hypersexualisation, la surexposition à la pornographie. On a à cœur de permettre à celles qui sont le moins représentées de pouvoir trouver leur place au sein de notre réseau où le leitmotiv est de co-créer malgré nos différences culturelles.

Quelle est la situation des femmes migrantes aujourd’hui en Europe et en France ? Il faut savoir que la population migrante est composée à 50% de femmes. ENOMW a co-écrit l’année dernière avec Reuters un rapport sur l’état des lieux de l’accès aux droits fondamentaux des femmes migrantes dans 9 pays d’Europe : les besoins sont croissants et ont augmenté avec la crise Covid. Beaucoup de femmes migrantes travaillent par exemple dans le secteur domestique et se sont retrouvées sans travail du jour au lendemain ou avec des conditions de travail très dégradées. L’accès aux soins et aux centres d’hébergement d’urgence s’est également complexifié, notamment pour les femmes victimes de violence comme la prostitution. De manière plus générale, l’accès aux droits fondamentaux des femmes migrantes est problématique : le droit international a une approche encore aujourd’hui « gender-blind » qui prend en compte le point de vue des hommes comme point de vue neutre sans prendre en compte les spécificités des femmes. La parole de l’homme, du mari ou du père, reste première et certaines femmes migrantes n’accèdent de fait que très difficilement au dépôt de plainte par exemple car elles sont considérées comme migrantes au sein d’un regroupement familial et non pas en tant que personne individuelle. La lutte contre les violences intrafamiliales reste donc difficile pour ces femmes, surtout si elles ne sont pas accompagnées. Il y a aussi un manque d’information au sein des préfectures, voire de la désinformation, et les démarches administratives restent compliquées pour ces femmes du fait de la barrière de la langue et de leur situation précaire, comme les femmes sans papiers qui sont les plus invisibilisées.

Les « femmes racisées » subissent donc de multiples discriminations ? Outre le fait de subir à la fois sexisme et racisme, les femmes migrent souvent de manière isolée et ont eu un parcours souvent polytraumatique avant d’arriver en Europe très peu pris en compte par les personnels qui les accueillent. Les modifications de récit par exemple lorsqu’une femme est de nombreuses fois interrogée sur son parcours à son arrivée, fruit de mécanismes psycho traumatiques, est un processus qui va être décrédibilisé au lieu d’être reconnu comme le signe de violences vécues. Elles subissent donc les mêmes discriminations que les femmes en général mais de manière décuplée. On appelle les institutions européennes à mettre en place une collecte de données ventilées en fonction des différents facteurs de discrimination (femme, migrante, mineure, etc) et homogénéisées en Europe, un préalable pour prendre des mesures efficaces pour les différents groupes de femmes. Pour revenir au concept de « femmes racisées », au départ Colette Guillaumin s’appuie sur un processus de construction sociale. Nous préférons quand même le terme de « femmes victimes de racisme » qui est plus universel et rassembleur.

Quand on travaille pour les femmes migrantes, on défend forcément le concept d’intersectionnalité ? Oui, les femmes migrantes sont à l’intersection d’au moins deux discriminations : raciste et sexiste. Mais nous sommes d’abord universalistes. Nous n’acceptons pas le relativisme culturel, fruit du paternalisme colonial. Mais on peut être universaliste et intersectionnelle, tout du moins pour comprendre les imbrications du système de domination patriarcal. Cependant nous sommes avant tout universalistes car nous n’acceptons pas d’aligner notre pensée sur une culture dominante. Toutes les cultures sont encore aujourd’hui patriarcales. La laïcité reste donc la valeur clé pour permettre toute intégration, des femmes migrantes et de toutes les autres femmes.

INTERVIEWÉE PAR ANAÏS GAL LE 06 OCTOBRE 2021

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