Les cyberviolences sexistes, les adolescentes face à de nouveaux types d’agressions sexuelles
Le phénomène des cyberviolences sexistes n’est pas nouveau, mais la période du confinement a vu augmenter à une vitesse vertigineuse les cas de revenge porn à l’encontre d’adolescentes. Sur des comptes réseaux sociaux souvent intitulés « Fisha » (allusion au fait de s’afficher, d’afficher l’autre), des photos intimes de jeunes femmes souvent mineures sont partagées. Il est fréquent que de jeunes victimes apprennent ensuite que des photos d’elles dénudées (« nudes ») sont accessibles en ligne, parfois assorties de leur numéro de téléphone portable.
Le fonctionnement de ces comptes délictueux est simple : à partir d’un tel compte un internaute fait appel à d’autres afin qu’il envoient des photos intimes de jeunes femmes en leur possession, et à partir de 20 heures chaque soir, toutes les photos reçues sont diffusées en libre accès, parfois avec les coordonnées de la victime. Ces agressions, pouvant s’apparenter à des raids numériques, ont souvent lieu sur Telegram, messagerie cryptée très majoritairement utilisée par des hommes.
Bien que ces comptes soient régulièrement suspendus, cela n’empêche pas le phénomène de devenir viral, les agresseurs se sentant souvent tout-puissants derrière l’anonymat du net, ils n’ont souvent même pas conscience d’enfreindre la loi – ou sont persuadés de n’être jamais inquiétés, vu le peu de dénonciations et de procédures qui aboutissent, leur permettant d’agir en toute impunité.
Par ailleurs, la nouvelle génération adolescente, et notamment les filles mineures, font face à de nouvelles injonctions pour vivre leur sexualité à travers les nouvelles technologies et via internet : pendant le confinement, les couples d’ados séparés avaient ainsi plus tendance à s’échanger des photos intimes. Or les garçons se sont mis à diffuser publiquement ces photos sans le consentement de leur partenaire, ce qui a causé un pic de 50% de “revenge porn” au cours de cette période. Les mobiles sont divers : les agresseurs peuvent être voyeurs, avoir envie de se venger, de “punir” leur copine qui les aurait quitté, vouloir gagner de l’argent par ce biais, ou encore considérer ces agressions comme un simple passe-temps sans conséquences, alors qu’il s’agit d’un délit passible de 2 ans de prison et de 60 000 euros d’amende. Les harceleurs, sont souvent solidaires, et le risque judiciaire semble être perçu comme un challenge par ces derniers. (1)
En outre, dans les établissements scolaires, les filles sont plus fréquemment victimes de violences sexuelles que les garçons, on invoque souvent la socialisation sexuée dont les enfants font l’objet pour expliquer ce phénomène. Elles restent également très ciblées par les cyberviolences et le cybersexisme de façon générale, il est à noter que le sexe devient une variable différenciatrice dans les faits de violences à l’école autour de 14 ans, et la cyberviolence frappe souvent des jeunes qui sont déjà en situation de harcèlement. Les garçons et les hommes ont adapté les violences qu’ils commettent contre les filles et les femmes à l’ère technologique.
Ajouté à cela, le fait qu’elles soient mineures rend leur démarches beaucoup plus difficiles, elles ne peuvent pas facilement déposer plainte, et il est difficile de trouver les identités des créateurs de ces comptes. Ces jeunes femmes vivent ainsi des moments très difficiles d’un point de vue psychologique. Il existe un risque très grand qu’elles se renferment dans un mutisme car couplé à la honte que ressentent injustement les victimes, il y a également le risque de représailles si elles parlent, de subir du rejet ou des violences supplémentaires au sein de leur famille ou de leur entourage, sans parler des insultes et du harcèlement qu’elles subissent sur les réseaux sociaux.
Ces procédés, de revenge porn, de publications massives de photos de filles et de femmes sans leur accord, se transforment ainsi en un outil de domination et de perversion.
Les moyens de lutter contre le cyberharcèlement sont toutefois peu nombreux. Un site de signalement sur le site du ministère de l’intérieur existe (2), et des signalements peuvent être directement envoyés sur les plateformes concernées, mais ceci ne suffit évidemment pas à protéger ces jeunes femmes.
Comme c’est souvent le cas en matière de respect des droits des filles et des femmes, c’est grâce à des femmes courageuses et empathiques qui prennent des initiatives que des solutions sont envisagées, à défaut de pouvoir compter sur de véritables politiques publiques de protection et de prévention, notamment contre les cyberviolences sexistes. Ainsi, une jeune femme de 21 ans, Stanley (pseudo instagram : stanley_mc) a pris l’initiative d’oeuvrer toute seule pour reporter les groupes et tenter d’apporter une aide psychologique et légale (elle est accompagnée d’une avocate) aux jeunes femmes, elle a créé le collectif StopFisha, et a été très vite rejointe par de nombreuses femmes de 18 à 50 ans. Cette initiative, aussi importante qu’incroyable et qui témoigne de beaucoup de courage et de force, n’aurait donc pas dû être entreprise par des femmes seules, mais par des professionnel.le.s commissionné.e.s par l’Etat.
La violence sexiste vit avec son temps, elle est en perpétuelle mutation, s’adapte aux nouveaux outils technologiques, le problème de fond reste la culture du viol dont ces comportements ne sont qu’une des multiples expressions. Si cela appelle des initiatives de lutte contre les cyberviolences sexistes, cela doit bien sûr être accompagné d’une remise en question structurelle de nos éducations et plus largement de notre société, le but étant de s’attaquer à la racine du mal, qui permet et légitime ces violences : la misogynie, la haine des filles et des femmes. L’éducation à l’égalité, au respect de chacun.e, la prévention, dont la répression des agresseurs doit être le corollaire, sont les solutions urgentes à mettre en place partout si on veut en finir avec ces pratiques destructrices !
Christine et Sarah Tarabay
Bibliographie
2. Site ministère signalement cyberharcèlement : https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/harcelement-ligne
Chapitre 5. Genre et violences à l’école : défaire les stéréotypes sexués à l’école. Johanna Dagorn & Stéphane Rubi, Armand Colin, U, 2016, p 83-99.