Porte mon nom

« Cela ne te dérange pas de ne pas avoir le même nom que ton enfant ? » Cette question m’a été posée par ma grand-mère, divorcée de mon grand-père, lors de mon 2ème mois de grossesse de mon futur premier enfant. Et moi, croyant que c’était une manœuvre pour me pousser au mariage et à changer mon nom, j’ai répondu effrontément que non, car moi, changer de nom ? Pas question. A voir ma grand-mère et mes tantes divorcer, changer de nom et gérer l’administratif qui va avec au gré de leurs histoires amoureuses, ce qu’on n’impose pas aux hommes, cela me paraissait absurde de changer mon nom. Jamais je n’avais tout à fait compris pourquoi ma grand-mère et ma tante avaient tenu à garder leur nom d’épouse accolé à leur nom de naissance après leur divorce. Mais ce n’était plus le nom de leur époux qui leur importait, c’était le nom de leurs enfants.

La question a fait son chemin pendant ma grossesse. Je me suis imaginée en train de devoir prouver que j’étais la mère de mon enfant à la sortie de l’école. Je me suis rendue compte que mes beaux-parents, mon beau-frère et son épouse porteraient le même nom que mon enfant, et moi un autre, comme si ce lien avec sa famille paternelle avait plus d’importance pour mon enfant que celui avec moi ou ma famille. Je ne voyais pas trop d’issue.

Puis, après la naissance de ma fille, un obscur employé de l’état civil de l’hôpital nous a expliqué que depuis la loi de 2002 (entrée en application en 2005…), nous pouvions choisir librement, à notre premier enfant, de donner l’un ou l’autre nom, ou les deux accolés dans l’ordre de notre choix (les enfants d’une même fratrie doivent avoir le même nom que l’aîné-e). J’avais une réponse à mon problème. J’avais toujours envié la tradition patronymique espagnole et portugaise du double nom (est transmis le premier nom du nom du père et le premier du nom de la mère, par défaut mais les couples choisissent librement en fonction des affinités avec les familles). J’ai convaincu mon compagnon de choisir le double nom. Il a faiblement tenté de m’opposer que cela ferait un nom très long : mais mon nom étant plus court que le sien, je lui ai dit que si la longueur posait problème on pouvait choisir le mien exclusivement, et ça a clos le débat. Aujourd’hui, lui comme moi, comme nos enfants, sommes heureux de notre choix.

Mais, quelle chance j’ai eue que ma grand-mère me pose cette question et me fasse réfléchir à ce sujet avant le moment fatidique de la déclaration de l’enfant ! Quelle chance que nous soyions tombé sur un officier d’état civil scrupuleux, et que par un concours de circonstance j’ai été présente lorsque cet officier d’état civil nous a expliqué la loi ! Quelle chance que mes enfants soient nés après 2005. Ils portent donc, comme 1 enfant sur 10 de leur génération, le double nom. En effet, il semble que les couples s’emparent encore assez peu de cette loi, vu que 82% des enfants portent le nom du père exclusivement, 6% le nom de la mère, et 12% le double nom.

Pour celles qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue, Marine Gatineau Dupré a créé le collectif « Porte mon nom ». Ce collectif s’emploie à recueillir nombre de témoignages sur les problèmes soulevés par ces choix de nom, et a lancé une pétition pour demander un changement de la loi relative au nom de naissance, qui sera porté au parlement en septembre. Les revendications portent sur le choix par défaut du double nom à la naissance au lieu du nom du père ; la possibilité de changer le nom de naissance de ses enfants mineurs après la déclaration à l’état civil notamment en cas de séparation avec le conjoint,  pour pouvoir leur donner le double nom sans l’autorisation du conjoint ; et enfin, la possibilité pour les enfants majeurs de choisir comme nom de naissance le nom de l’autre parent exclusivement, ou le double nom.

Les témoignages recueillis montrent que ce sujet peut être une vraie souffrance, en particulier pour les familles séparées, recomposées. Le nom est une des constituantes de l’identité, et un fort symbole de la filiation. Cette situation résulte en de multiples violences administratives, avec des mères contraintes de prouver la filiation avec, par exemple, le livret de famille, pour la moindre démarche (administrative ou simplement pour prendre l’avion seule avec leur enfant…), mais également la douleur de ne pas porter le même nom que son enfant, notamment chez les couples séparés, divorcés, et dans les familles recomposées, des fratries avec des noms différents. Pour des enfants victimes de violences ou abandonnés par leur père, c’est l’obligation de porter le nom de son bourreau. Même accoler le nom de la mère au nom du père, pour un nom d’usage, doit se faire avec l’autorisation du père. Mais le nom d’usage n’a rien d’officiel.

La déclaration d’un enfant à naître est un moment de la culture patriarcale. J’avais été choquée, au moment de la reconnaissance conjointe préalable de mon enfant à naître, d’apprendre que le premier quidam venu peut venir à la mairie et se déclarer père de mon enfant à naître, il lui suffit d’avoir quelques informations, sa pièce d’identité et un justificatif de domicile. La filiation maternelle est établie automatiquement (sauf accouchement sous X), mais la mère, si elle n’est pas mariée au père, n’a pas son mot à dire sur qui est le père qui reconnaît son enfant. Une reconnaissance d’un même enfant engage pourtant les deux parents l’un envers l’autre. Avec ce système, le père peut choisir d’être solidaire avec la mère, mais la mère peut se voir imposer la solidarité avec le père.

Ce moment de la reconnaissance est également une clé par rapport à la transmission du nom. En effet, pour des couples non mariés, en cas d’absence du papier indiquant le choix du nom de famille, un choix par défaut peut être fait : et c’est celui du premier parent ayant reconnu l’enfant, ou celui du père (si reconnaissance conjointe). Dans un système où la filiation à la mère est « automatique » de par la naissance, il est aisé d’imaginer que ce choix par défaut a tendance à favoriser le père, s’il fait une reconnaissance préalable. Et ce, d’autant que la déclaration de naissance, à faire dans les 5 jours après la naissance à un moment où la mère est encore en suites de couches, est dans son immense majorité faite par les pères. Lesquels sont donc libres, vu que cette déclaration n’est pas nécessairement conjointe, de changer les papiers sans en aviser la mère au dernier moment (certains témoignages du collectif « Porte mon nom » évoquent ce cas). Pour les couples mariés, c’est le nom du père le choix par défaut.

Une fois ce fameux choix du nom de famille effectué, aucun retour en arrière n’est possible. Le seul cas prévu par la loi pour modifier le nom de famille, c’est si le père reconnaît l’enfant après la naissance. C’est toujours le nom du père qui se retrouve favorisé par cette disposition.

C’est problématique, quand on ne savait pas qu’une autre option que le nom du père était possible, qu’on n’imaginait pas vivre une séparation et ses conséquences, qu’on n’a pas pu faire autrement que d’accepter la volonté du conjoint, ou qu’on est tombée sur un officier d’état civil négligent.

Nous soutenons et encourageons Marine Gatineau Dupré dans son initiative, que nous espérons voir couronnée de succès sous peu !

Chloé
Credit photo : @Marjo’In Pao