Pornographie : du scandale à l’acceptation
Protéger les enfants de la pornographie ? Une illusion utile.
Autrice : Florence-Lina Humbert.
Comment croire que ces femmes déclarées majeures le sont réellement alors qu’on voit des corps juvéniles à l’écran, sur lesquels des hommes déploient des trésors d’inventivité perverses pour les torturer dans toutes sortes de scénarios évoquant la minorité (costume d’écolière, …). Il s’agit en effet de satisfaire cette demande dominante parmi la clientèle pour la pédopornographie, que la législation interdit et qui fait aussi heureusement l’objet d’un interdit social. Or, la motivation à consommer de la pornographie contient par nature une forme de subversion, la volonté de briser un tabou, de transgresser une limite éthique. La demande des consommateurs est donc orientée vers le viol d’enfants qui, font-ils semblant de croire, est imité par des « actrices adultes”. Les victimes de ces viols filmés sont loin d’être toutes adultes, mais il suffit que les producteurs le prétendent.
Quoi de plus scandaleux que la pédopornographie ? L’utilisation d’enfants dans des scénarios de violences sexuelles ou les photos d’enfants nu·es dans des postures sexualisées suscite un dégoût profond.
Ce sentiment est tellement commun et bien ancré dans les mentalités qu’on n’a plus besoin de décrire ni d’expliquer pourquoi il faut en protéger les enfants ni pourquoi ceux qui font et produisent ces films doivent être poursuivis et punis. Le porno mettant en scène des enfants est le summum de la perversion, un crime odieux, la pire abjection, la cruauté à l’état pur. Un consensus social règne sur ce sujet.
Pourtant ces films sont regardés
Le marché du film pédopornographique est, comme tous les marchés, régi par la loi de l’offre et de la demande. Cette demande existe, des producteurs choisissent de risquer de lourdes peines de prison en enlevant des enfants ou en trompant leurs parents, en recrutant du personnel complice, en réalisant ces films et en les commercialisant par des canaux parallèles. Ne nous y trompons pas, même si elle est légalement condamnable, cette activité reste rentable sinon elle ne serait pas pratiquée avec une telle persistance.
Et si elle est rentable, c’est qu’elle a une clientèle. Cette clientèle fait partie de la même population qui considère ces activités comme absolument criminelles, insupportables et les condamne de façon unanime. La consommation de pédopornographie est forcément secrète, l’attitude d’opposition scandalisée à cette pratique peut lui servir d’alibi.
Sous couvert de liberté d’expression, les films porno mettant en scène des adultes en revanche sont globalement approuvés, même par des gens qui ne les consomment pas, et l’opinion publique considère que les productions porno doivent avoir le droit d’exister. Or, ce porno autorisé, accepté et légal est en réalité une copie du précédent : les enfants n’y sont en principe pas utilisé.es, mais tout est fait pour que les femmes violées à l’écran y ressemblent le plus possible, soient les plus jeunes possible, les plus juvéniles possible, ce sont le plus souvent des jeunes femmes de petite stature et très fluettes, voire maigres, et sans poil, comme des adolescentes. Le porno légal (et considéré comme acceptable par la société) met donc en scène les mêmes fantasmes que le porno considéré comme criminel. Les titres et les scénarios le revendiquent, plus du tiers des videos évoquent la pédopornographie et même l’inceste, avec des titres explicites : “beau père défonçant le cul de sa belle-fille”, “teenie surexcitée”…
Souvent les termes « actrices et acteurs » porno sont utilisés. Dans le théâtre et le cinéma, actrice est le féminin d’acteur, les deux mots font référence à un même métier (qui consiste à interpréter un.e personnage, à jouer la comédie, ce qui n’est pas le cas dans le porno). Dans le porno en revanche, ces hommes dits “acteurs” sont des violeurs exhibitionnistes, qui aiment violenter des femmes en étant vus, et filmés, alors que les “actrices” sont des femmes vulnérables, victimes de viols et de tortures sexuelles filmées. Les appeler actrices est une hypocrisie cruelle, une véritable tentative de dissimulation de violences sexuelles.
Osez le féminisme ! est engagée contre l’industrie pornocriminelle. L’association s’est notamment portée partie civile dans le cadre d’une des affaires qui font trembler le milieu du porno. En savoir plus sur les actions menées.
Les femmes qui ont témoigné contre les producteurs de porno récemment entendus par la justice* ont toutes déclaré avoir été piégées dans le porno. Elles n’y accomplissent aucune performance d’actrices devant la caméra, les pénétrations sont authentiques, non fictives : elles y sont brutalement violées. Les viols filmés sont donc la matière principale de cette industrie « culturelle » dont l’existence semble, pour le grand public, relever de la liberté d’expression. Ces adultes dont l’âge, supérieur ou égal à 18 ans, fait toute la différence pour l’opinion publique, sont fragilisées économiquement et attirées par la perspective de sortir de la précarité en participant à une industrie qui se donne une image glamour, qui leur offrirait même l’opportunité de reprendre le contrôle sur leurs corps après un traumatisme, de se sentir désirables et belles en se faisant filmer. Le rôle prétendument émancipateur du porno, participe à cette illusion : les femmes victimes en espèrent quelque chose de libérateur pour elles-mêmes, si bien qu’elles donnent leur consentement à des producteurs qui, volontairement, ne les informent qu’incomplètement sur les scénarios. Ces consentements devraient être considérés comme invalides du fait de la distorsion du rapport de forces entre elles et les producteurs, réalisateurs ou “acteurs” qui les requièrent. Mais comme elles sont adultes, leur consentement assure aux producteurs une certaine impunité juridique et morale.
Pire, elles signent des contrats (souvent de simples cessions de droits à l’image) qui se retournent contre elles. Sur le tournage, quand elles tentent de se soustraire aux viols, le producteur leur dit : « tu as signé, tu consens, tu ne peux plus reculer ». Le contrat est dévoyé en un outil pour les contraindre.
L’invention de l’ “actrice porno”
Subir des violences sexuelles à l’âge adulte est souvent l’aboutissement d’un continuum de violences depuis l’enfance. Et donner un consentement, contractuel ou non, à subir les violences sexuelles que sont les rapports non-désirés est une soumission, un abandon du contrôle sur son propre corps. Il est d’une extrême dangerosité pour la personne. La décision de donner son consentement dans ces situations potentiellement dangereuses ne peut s’élaborer que dans le psychisme d’une personne suffisamment dissociée pour que cet abandon puisse être envisagé.
Lire aussi, dans le journal d’Osez le féminisme de mars 2020 : Annie Ferrand : du consentement au désir, de la soumission à l’égalité (page 11)
Les victimes de violences sexuelles dans l’enfance et/ou l’adolescence s’habituent à la dissociation traumatique, mécanisme de survie décrit par la psychiatre Muriel Salmona. Ce sont elles que l’industrie du porno recrute dès qu’elles ont dix-huit ans : elles seules sont déjà préalablement suffisamment dissociées de leurs corps pour donner un consentement aux opérateurs de cette industrie à des viols répétés. L’industrie du porno capitalise donc directement sur le traumatisme psycho-sexuel et prospère sur le consentement vicié de victimes de pédocriminalité, d’anciennes enfantes violées ou agressées, autrement dit ils surfent sur la culture du viol.
La différence entre l’activité criminelle qu’est la pédopornographie qui fait tant horreur à tout le monde et la porno adulte considérée comme une production culturelle anodine, voire nécessaire, repose donc sur la transformation magique et brutale d’une enfant traumatisée en une “actrice consentante”, et suffisamment consciente de ce qui lui est demandé pour assurer sa propre sécurité sur un tournage. Qui peut croire à cette transformation magique ? Que se passe-t-il dans la tête d’une victime de viols le jour de ses dix-huit ans ? Les traumatismes subis dans l’enfance guérissent-ils automatiquement ? Pourtant, cet anniversaire dédouane les producteurs, les acteurs, les réalisateurs de porno : ils ne peuvent pas être accusés du pire des crimes, ils ne commettent pas, ne filment pas de viols d’enfants, leur activité est légale et consommée en majorité par des hommes, en toute impunité. C’est pourtant une évidence : il n’y a pas de transformation. Conditionnées dès l’enfance à subir des violences sexuelles, elles restent dissociées de leurs émotions et de leurs corps lorsqu’elles sont violées. La cruauté de ce qu’elles subissent ne s’atténue pas. En revanche, la responsabilité de leurs violeurs n’est plus engagée, elles donnent leur consentement, ce sont donc elles qui sont responsables.
Merveilleux subterfuge inventé par les pornographes, avec la complicité des législateurs, pour asseoir la légitimité de la pornographie : les victimes sont appelées actrices, elles sont adultes, elles consentent. Fin de la discussion.
Le viol et la torture comme norme: ce que la porno enseigne aux enfants
Début d’une autre discussion : qui consomme ces séquences de viols filmés ? Qui clique sur le bouton « J’ai dix-huit ans » en 1re page de sites tels que Pornhub ou Youporn ? La réponse a été confirmée par plusieurs études** : des enfants à partir de 9 ans, presque tous les garçons et un tiers des filles à partir de 13 ans, une grande majorité des hommes adultes. Qu’y voient-elles et ils ? Des viols de femmes jeunes, correspondant aux standards dictés par la culture patriarcale (les exagérant même souvent), extrêmement minces, bronzées, et lisses, maquillées, qui semblent prendre plaisir à la torture qui leur est imposée, ou du moins ne pas s’en défendre. Les garcons intègrent donc dès l’enfance comme une norme qu’un homme torture impunément une femme, qu’elle y prend même du plaisir, et que c’est ce que deux adultes font ensemble dans l’intimité et qu’on appelle un rapport sexuel. Les enfants sont plus facilement impressionné.e.s par les images que les adultes, même une exposition ponctuelle à des contenus pornographiques peut marquer durablement un cerveau en pleine construction. La brutalité, la domination de l’homme et son érection interminable d’une part et la soumission, la passivité, l’humiliation de la femme réduite à un objet, pénétrée par tous les orifices corporels et semblant s’en réjouir d’autre part forment des schémas mentaux puissants et difficiles à déconstruire et contrebalancer.
Pour les garçons, la construction de leur personnalité est alors imprégnée de cette violence et beaucoup considèrent les viols pornographiques comme des éléments du langage amoureux et sexuel, et finalement reproduisent ces schémas dans leur vie intime. Les femmes qu’ils fréquentent doivent s’y plier. Beaucoup de très jeunes filles sont amenées lors de leurs premiers moments d’intimité à consentir à des pratiques humiliantes et à ignorer leurs propres désirs car le partenaire ne les respecte pas, voire les enfreint à dessein. Lors des soirées d’adolescent·es, les visionnages de porno sont fréquents et ils donnent lieu à des surenchères des garçons et jeunes hommes entre eux et à des challenges sur ce qu’ils prévoient de réaliser avec leur petite amie. Des filles participent à ces visionnages.
Il n’y a pas de meilleur entraînement au viol, pour les uns, et à l’acceptation du viol pour les autres.
Ainsi le « grooming » pratiqué par les pédocriminels qui consiste à conditionner leurs victimes à l’acceptation du viol par des manœuvres de mise en confiance est réalisé à distance par les pornographes qui diffusent ces contenus, sachant qu’ils sont vus par une forte proportion d’enfants et d’ados. L’exposition précoce au porno embrouille les enfants dans leur capacité à distinguer sexualité et violence et à développer leur propre désir sans le confondre avec une soumission imposée. Le porno habitue à l’effraction par l’autre et empêche de distinguer ce qui est normal dans la sexualité de ce qui est une agression ou un viol. La diffusion de contenus pornographiques « acceptables » permet de mettre certains enfants (en particulier les filles), plus exposé·es que d’autres, à la disposition de pédocriminels.
Criminaliser seulement la pédopornographie est donc une hypocrisie. Imprégner les enfant·es et adolescent·es de la culture du viol grâce à de la pornographie « adulte » et déformer leur perception des sexualités, en faire des victimes potentielles toutes trouvées pour les criminels : tout ce conditionnement est fait par la pornographie légale. Interdir que des mineur·es soient violé·es devant la caméra mais accepter qu’elles et ils le soient psychiquement devant leur écran est même une escroquerie intellectuelle et un scandale en matière de santé sexuelle et santé mentale. L’exposition au porno est un viol psychique.
Le pire est que cette exposition, délétère pour l’esprit des enfant.e.s et des adultes, est faite en détruisant des femmes, réellement violées, elles, devant une caméra. Double violence : le porno c’est donc du viol direct plus du viol indirect quand on le visionne.
À quoi nous sert une législation qui interdit de filmer des viols d’enfants mais autorise les films de viols de femmes ayant l’air d’être des enfant.e.s ? D’autant plus quand des enfants visionnent ces films ? Sachant que des filles violées dans leur enfance constituent l’essentiel des victimes recrutées, il est clair que la législation ne protège ni les enfant.e.s, ni les femmes. Elle ne protège que les pornographes, qui fabriquent et vendent ces films à ceux qui les achètent, les diffusent, les promeuvent, et les pornocrates, qui exercent un pouvoir grâce à la pornographie. Cette législation entretient l’illusion de la liberté d’expression, en réalité elle déguise des violences misogynes et pédocriminelles en productions culturelles appelées « divertissement pour adultes.
De quelle liberté parle-t-on ? La liberté des hommes de consommer des viols de femmes vulnérables, filmés par des hommes qui profitent des traumatismes qu’elles ont subis plus jeunes. Cette liberté ne profite pas non plus aux garçons, exposés de plus en plus jeunes à cette violence, qui en deviennent dépendants et ne peuvent pas avoir de vie sexuelle non-violente à l’âge adulte tant le porno a empoisonné leurs imaginaires. Cette liberté s’exerce définitivement sur le dos des femmes dont elle cimente la prédation, l’infériorisation et la soumission.
En torturant des femmes et en en répandant les images dans le monde entier, des hommes détournent la liberté d’expression, qui devient l’expression de leur mépris et haine des femmes et des filles, c’est-à-dire leur misogynie. Ils exercent leur impunité à confondre sexualité et performance viriliste, c’est-à-dire violence, destruction de l’autre. La pornographie perpétue cette violence structurelle. Elle n’a pas sa place dans une société égalitaire et respectueuse des droits humains, adultes comme enfant.e.s.
Abolir la pornographie ? Osez le féminisme dit oui !
De même que la prostitution et la grossesse pour autrui (GPA) doivent être abolies, extirpées de l’humanité. Car il n’y a pas de prostitution heureuse, ni de GPA “éthique” ; la torture filmée de filles et de femmes et sa diffusion devraient être criminalisées et déconstruite dans la société, car elle détruit des femmes et sa diffusion à tous les hommes de la planète détruit leur psychisme, abolit leur liberté, anéantit leurs désirs. La pornographie n’est ni utile, ni libératrice, n’a aucune valeur intellectuelle ou culturelle, elle est l’égoût du sadisme de l’humanité mâle qui ressasse sa domination.
Florence-Lina Humbert, Juin 2022
* Deux enquêtes sont actuellement en cours :
– l’une menée par le parquet de Paris suite au signalement effectué le 18 février 2020 par Osez le Féminisme, le Mouvement du Nid et Les Effrontées ;
– l’autre qui a abouti le 17 octobre 2020 au placement en détention provisoire de deux « producteurs » et deux collaborateurs pour viols, proxénétisme aggravé et traite d’êtres humains aggravée.
** Quelques chiffres :
- D’après le sondage Opinionway “Moi Jeune” pour 20 Minutes publié en avril 2018, près d’un tiers des jeunes ont déjà vu du porno avant 12 ans, plus de 60 % avant 15 ans et plus de 80 % avant 18 ans
- D’après un sondage Ifop réalisé pour Le Figaro en 2017, un tiers des 13-14 ans ont déjà vu un film porno, et un enfant sur sept a vu son premier film porno à 11-12 ans. in “Les adolescents confrontés à la pornographie de plus en plus jeunes”, Le Figaro, 19 mars 2017
- 40% des enfants de 14 ans déclarent avoir vu du porno, dont un tiers avant 12 ans, d’après le site de Gail Dines