L’instrumentalisation du Féminisme à des fins politiques

Longtemps exclues des sphères de pouvoirs, les femmes investissent progressivement les instances politiques dans le monde entier. Elles sont de plus en plus à participer à l’exercice du pouvoir, répondant à une nécessité démocratique, pour que la vie politique soit l’affaire de toutes et tous. Pour autant, est-ce que le seul fait d’être une femme suffit à mener des politiques féministes, pour les droits et l’émancipation des femmes ?

Les femmes représentent la moitié de la population mondiale, pourtant elles sont encore insuffisamment représentées dans les instances politiques, à tous les échelons. Ainsi, la lutte pour la parité en politique est logique, elle ne doit pas être considérée comme sectaire mais bien comme une nécessité démocratique. Une arrivée des femmes au pouvoir, représentativité indispensable. Mais il s’agit également de voir quelles politiques les femmes mènent quand elles ont l’opportunité de prendre des décisions impac- tantes et de faire de sujets méprisés des priorités politiques.

Depuis plusieurs décennies, elles sont de plus en plus nom- breuses à investir les sphères de pouvoir et à avoir fait voter des lois en faveur de la condition féminine. De l’accès à l’IVG par Simone Veil en 1974 à l’allongement du congé parental à 14 moiségalement réparti entre les parents par le gouvernement finlandais de Sanna Marin en 2022, en passant par le projet de loi du mariage pour toutes et tous porté par Michelle Bachelet au Chili en 2017, ou encore la lutte contre les violences intrafamiliales par Jacinda Ardern en Nouvelle Zélande. L’arrivée de femmes en politique peut ainsi produire des changements significatifs, contre le système patriarcal, au bénéfice de la société dans son ensemble.


Cependant, ce leadership féminin est à analyser avec pré- caution puisque le féminisme peut aussi être instrumentalisé. Récemment élue, la nouvelle présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, qui dirige le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, fait craindre un recul des droits et une augmentation des violences contre les filles et les femmes. Celle qui a ouvert l’un de ses meeting sur « Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne », instrumentalise son sexe et son genre féminin dans une tentative de masquer son mes- sage politique haineux, misogyne et raciste. En réaffirmant qu’elle est une mère, Giorgia Meloni réussit le défi d’endormir la méfiance des oppositions en donnant une image maternelle, sous-entendu qui sera bonne protectrice de la patrie. En réaffirmant qu’elle est une femme, dans un monde politique d’hommes, elle veut à la fois donner une image de douceur, d’une politique qui ne peut pas faire de mal, et en même temps l’image d’une femme forte, leader, une « femme d’aujourd’hui », presque féministe ! En revendiquant le double rôle de femme et mère, sous-entendu forcément mariée et hétérosexuelle, elle veut rassurer son électorat : elle est une femme qui ne sort pas des cases traditionnelles, qui respecte les codes conservateurs. Elle renforce tous les stéréotypes sexistes.
Ce sont des tours de passe-passe pour mener une politique contre l’émancipation des femmes, anti-féministe, qui défend des valeurs familiales traditionnelles, homophobe et lesbophobe (elle a déclaré lutter contre des « lobbies LGBTQ »). Elle s’oppose aussi à l’application de quotas pour augmenter le nombre de femmes au Parlement et promet de la « fermeté face aux migrants ».
Être une femme politique ne se traduit donc pas nécessaire- ment en une vision d’émancipation des femmes ni un engagement pour la défense de nos droits. Giorgia Meloni en est la preuve, elle use d’un faux féminisme pour déguiser sa politique, alors même qu’elle est fasciste.

En Europe et ailleurs, elle est loin d’être la seule femme politique à instrumentaliser le féminisme dans le but de porter des projets misogynes, racistes et discriminatoires. Marine Le Pen, candidate pour le Rassemblement National aux élections présidentielles enFrance, dénonçait les viols survenus à Cologne pour stigmatiser encore les immigrés. Krisztina Morvai, figure de l’extrême droitehongroise, tenait un discours antisémite, prétendument motivé par la défense des droits des Palestiniennes. Sarah Palin, candidate à la vice-présidence aux États-Unis en 2008 appuyait son statut de femme et de mère mais soutenait des mesures contre l’avortement et contre l’égalité des salaires.
Derrière ces femmes politiques se cachent des partis populistes aux idées misogynes et racistes. Sous couvert d’un visage féminin voire féministe, elles défendent les valeurs de l’extrême droite et n’entendent pas améliorer les conditions des filles et des femmes. Elles utilisent un levier supplémentaire : elles détournent le fémi- nisme pour se rendre « acceptables et plus modernes ». L’égalité femmes-hommes est devenue un sujet de société qui pousse les partis politiques à se positionner. Certains en profitent pour l’instrumentaliser.

L’arrivée au pouvoir de femmes pose malheureusement ques- tion. Celle d’une récupération politique : promouvoir une femme en mettant en avant des qualités dites « féminines » (sensibilité, douceur, écoute) permet de renouveler et d’adoucir l’image d’un parti violent et dangereux. Dans ce sens, le parti attire un élec- torat nouveau, jeune et plus féminin. Il existe un réel opportu-nisme électoraliste, mais aussi idéologique : cette féminisation des partis d’extrême droite est aussi à des fins antisémites et islamo- phobes, au prétexte « des droits des femmes ». Ainsi, ces partis embrassent le féminisme pour se battre contre le burkini et le voile et finalement contre les musulmanes. Au-delà de ce féminisme de façade, dit aussi feminism washing, il existe donc une réalité : l’argument de l’égalité femmes-hommes est détourné par les courants de droite. L’incarnation du féminisme dans ces partis a un objectif d’exclusion. Évidemment, ces mouvements ne luttent pas en faveur des autres dimensions du féminisme : pour mettre fin au harcèlement sexuel, pour l’égalité salariale, l’accès à l’avortement…
Pour cette raison, il est essentiel de prendre en compte les femmes politiques dans leur pluralité, de les percevoir comme toute personnalité politique, pour les sujets qu’elles portent. Être une femme n’est pas la garantie d’une politique féministe, il est nécessaire de décrypter discours et mesures proposées. Plus de femmes en politique oui, mais surtout plus de femmes réellementféministes, menant des politiques féministes !

Coline

Zoom : Fake feminism, quand l’extrême droite détourne le féminisme

élection présidentielle 2022 nous aura prouvé une chose : après Marine Le Pen, la relève est assurée chez les femmes d’extrême droite. Femmes. Et non féministes. Là est la grosse distinction. Créé fin 2019, le collectif Némésis en est une parfaite illustration.Détournant le féminisme, ses militantes essaiment leurs théories xénophobes à coup de statistiques grossières et d’actions cen- trées sur des violences impliquant principalement des hommes immigrés à l’encontre de femmes dites occidentales. Ceci en masquant la réalité systémique et structurelle du patriarcat et des violences masculines. Le collectif « Les Femmes avec Zemmour » marche sur ses traces en se plaçant sur ce crédo du « féminisme identitaire » (!!). Créé pendant la campagne présidentielle, il regroupe des femmes qui soutiennent le candidat depuis ses débuts de campagne en octobre 2021. Leurs thèmes de prédi- lection : immigration, immigration et immigration ; mais toujours maquillés de féminisme. Les tirades misogynes de leur candidat ne les intéressent guère, tant que les propos islamophobes et anti immigration sont rattachés à chaque interview. Après le feminism washing, on pourrait donc parler de fake feminism. Depuis la révo- lution #Metoo, le détournement du féminisme est devenu une des armes de ces collectifs, au service de leur haine.

Juliette O

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