Les féminicides dans le monde : un système
« Fémini- » comme dans « féminin », « -cide » comme dans « homicide », « infanticide » ou « génocide ». Le terme féminicide a fait son entrée dans le dictionnaire Le Petit Robert 2015. Il est défini comme un meurtre de femme en raison de son sexe. Pourtant, quand une femme est tuée, on parle toujours d’« homicide », terme générique qui désigne le meurtre d’un être humain. Alors pourquoi ce nouveau terme ? Un féminicide est-il seulement un homicide de femme ou un infanticide de fille ?
Des millions de filles et de femmes tuées parce que nées femmes
Alors que les hommes sont souvent tués pour ce qu’ils font – enrôlement dans des armées ou forces paramilitaires, activités mafieuses ou autres motifs politiques ou crapuleux – les femmes sont massivement tuées pour ce qu’elles sont. Elles sont punies de mort pour leur appartenance au sexe féminin. Ces meurtres peuvent être parfois commis par des femmes, mais le plus souvent par des hommes.
En Chine et en Inde, des millions de bébés filles sont tuées à la naissance ou sont privées de soin. En Chine, où la maîtrise de l’explosion démographique a contraint à limiter les familles à un seul enfant, la préférence va encore aux garçons, quitte à… tuer des filles à la naissance.
En Inde, les familles doivent s’acquitter d’une dot, dont la somme est conséquente au moment du mariage de leur fille. La dot constitue un fardeau financier dissuasif pour de nombreuses familles, dont certaines qui vont tuer les filles à la naissance. Des hommes, une fois mariés, vont même jusqu’à tuer leur épouse, meurtre camouflé en « accident domestique » et se remarier pour toucher des dots supplémentaires. Loin d’être en baisse, cette pratique est en pleine recrudescence. En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Au Mexique, des femmes sont enlevées, violées et tuées, et pas seulement dans la région de Juarez.
Bien souvent, les circonstances de ces meurtres sont rarement interrogées, et demeurent grandement dans l’impunité. Les chiffres sont occultés et la gravité de ce phénomène tabou est minimisée. On s’inquiète d’un « déséquilibre démographique », on plaint les hommes chinois qui ne trouvent pas d’épouses. Dans un numéro des « Dossiers de la commission enfants » de mars 2007, Amnesty International s’alarme de ce que « ce surplus de jeunes hommes pourrait menacer la stabilité de certains régimes. » Le féminicide est largement perçu d’abord comme un problème qui nuit aux hommes. Les Nations-Unies parlent pudiquement de « 200 millions de femmes manquantes ».
Le sexocide des sorcières
Au Moyen-Âge, pendant l’Inquisition, entre le XII et le XVe siècle, des femmes ont été soumises aux pires tortures : brûlées vives, noyées… Souvent il s’agissait de celles qui disposaient d’un minimum de savoirs, de ressources et donc d’indépendance, et donc jugées trop puissantes. Qualifiées à tort de « sorcières », elles étaient jugées « hérétiques » et poursuivies essentiellement sous des prétextes divers et arbitraires, comme fricotant avec le diable ou possédées par le démon. La chasse aux sorcières est un exemple de féminicide à part entière car 80 % des victimes étaient des femmes. Toute suspicion devenait condamnation, sans aucune autre forme de jugement. Sous l’influence chrétienne dans toute l’Europe, les femmes sont considérées comme impures, rebelles et pécheresses. En réalité, il s’agit plutôt d’un moyen très efficace pour l’Eglise chrétienne et l’Etat de contrôler les femmes, et de réprimer la sexualité et les mœurs jugés trop libérés dans le monde rural. D’autre part, ces persécutions détournaient les paysans en proie aux mécontentements populaires et les liguaient autour un bouc émissaire. Ces féminicides – on parle aussi de sexocide – des femmes sont l’un des premiers féminicides de grande échelle en Europe.
Marion
Nous parlons de 200 millions de victimes de la haine misogyne
Loin d’être perpétré dans une impulsion soudaine, ce crime est souvent intentionnel et prémédité. Ce ne sont pas des crimes qui arrivent par hasard ou sous une impulsion de folie meurtrière. Loin de l’image de perte de contrôle ou pire, « d’élan passionnel », la mort n’est souvent que l’aboutissement fatal d’un continuum de violences faites aux femmes. Dans des sociétés patriarcales, les violences conjugales, la domination des femmes et la misogynie vont jusqu’au meurtre. Des hommes tuent des femmes pour s’emparer de leur corps, pour le contrôler, pour en avoir l’exclusivité. car il soupçonne de la tromper ou parce qu’elle le quitte.
Pendant un viol, le criminel étrangle sa victime. Dans un lycée d’Allemagne, en mars 2009, un élève massacre les jeunes filles qui ont repoussé ses avances. En juin 2014, en Alsace, un homme organise le meurtre de l’infirmière qui fuyait face à son harcèlement sexuel. En mai 2014, un étudiant du campus de Santa Barbara planifie d’entrer dans une maison d’étudiantes pour tuer le plus de jeunes femmes possible, à défaut de pouvoir « tuer toutes les femmes » : « Je massacrerai toutes les filles du bâtiment, et je prendrai un grand plaisir à le faire ».
La raison invoquée est souvent un sentiment d’injustice contre les femmes qui « ne veulent pas de (lui) ». Ces meurtres sont motivés par les auteurs par le dépit amoureux, la jalousie, la possession, le sentiment de toute-puissance et que la petite amie ou la conjointe leur appartient. Comme si pour de nombreux auteurs de harcèlement sexuel ou de viol, le « non » d’une femme n’est pas acceptable.
Le meurtrier de Santa Barbara fréquentait assidûment une communauté masculiniste sur internet, et y participait activement avec des écrits où il présente les femmes comme des biens à disposition, auxquelles, en tant qu’homme, il aurait droit. De façon typiquement masculiniste, il se pose en victime des femmes. Et a pour projet, en tuant quelques femmes, de « les terroriser toutes ».
En janvier 1989, un jeune homme entre dans une salle de classe de Polytechnique Montréal, il tue 14 jeunes femmes et en blesse 14 autres. Selon ses propres termes, il agit en représailles contre des « féministes » qui « veulent exercer un métier d’homme ». Depuis, des groupes masculinistes nord-américains célèbrent le « Marc Lepine’s Day ».
Le 15 octobre dernier, la militante féministe Anita Sarkeesian a dû annuler son allocution sur le sexisme dans les jeux vidéo prévue à l’Université d’Utah en raison de harcèlement et de menaces précises d’un « massacre façon Montréal ».
Il est temps de reconnaître l’existence d’un massacre systématique et organisé de filles et de femmes, tuées pour être nées filles. Le machisme tue massivement.
Les féministes se doivent de dénoncer ces idéologies malsaines, qui banalisent la violence la plus extrême à l’égard des femmes. Loin d’être l’expression anodine d’une virilité sympathique, elle est à l’origine du plus grand massacre génocidaire jamais commis dans l’Histoire.
Pauline
FÉMINICIDE : QUE DIT LA LOI ?
Pour la première fois en 1994, une convention internationale reconnaît le féminicide : la Convention Belem do Para en Amérique latine. Les Etats signataires ont une responsabilité dans la lutte contre ces crimes, ainsi le Mexique a été condamné en 2007 pour la négligence de ses autorités face aux massacres de femmes à Ciudad Juarez.
En Europe, l’Espagne et l’Italie ont intégré la notion de “violence de genre” dans le Code pénal. En France, c’est le lien conjugal qui est une circonstance aggravante d’un meurtre. Le droit ignore les rapports de domination entre hommes et femmes et ne prend pas en compte la portée misogyne des meurtres de femmes. Pourtant, la France a ratifié la Convention d’Istanbul en juillet dernier. Ce texte a pour objectif de « protéger les femmes contre toutes formes de violences » et implique un traitement différencié des crimes contre les femmes.
Pauline