La justice française : oppresser au lieu de protéger, les femmes en colère : “L. avait 13 ans”
Revenons d’abord sur certains grands tournants dans l’histoire des femmes et comment après des siècles d’oppression le combat pour les droits des femmes a fini par être entendu.
De 1771 de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, de la loi de Simone Veil en 1975 sur le droit à l’avortement, de la loi Génisson en 2001 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; ou encore de la convention d’Istanbul en 2011 jusqu’à 2018 avec le renforcement de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous nous rendons compte que les femmes se battent et sont obligées d’avoir des textes de loi pour faire valoir leur existence, leurs décisions, chacun de leurs choix ; avoir des écrits qui attestent de ce qu’elles peuvent ou non faire et comment disposer de leurs corps.
Aucunement les hommes n’ont eu besoin de précisions, de lois, de personnes les représentant pour vivre et décider de leurs corps d’homme.
Il faut se rendre compte que l’éducation, le patriarcat, la culture du viol, la socialisation différenciée, font que, malgré les avancées, le contexte de domination masculine est toujours là. Les femmes sont pourtant censées (en tout cas aux yeux des textes de lois, très récents) être égales et indépendantes des hommes.
Cependant en 2020, et après plusieurs siècles d’évolution et de combats, les droits des femmes se voient encore déniés par la justice des hommes, qui a peiné toutes ces années à leur accorder leurs droits (personnes à part entière, droit à disposer de leurs corps, de leur image, de leur propriété intellectuelle etc…)
En 2020, des femmes doivent encore supporter le harcèlement, les agressions sexuelles, les viols, le cyberharcèlement, le jugement sur leur choix à disposer de leurs corps que ce soit par les professionnels de la santé, par les stéréotypes et les normes de la société ou par leur entourage ….
En 2020, encore beaucoup de femmes ne sont pas les égales des hommes, face à la justice et cela à travers le monde. Et malheureusement au sens littéral du terme : des femmes en meurent chaque jour (150 rien qu’en 2019 en France).
Et dans tout ce combat qui n’est pas fini, qui existe depuis des centaines d’années, alors que nous avons pu assister aux progrès de la médecine, de la mécanique, de la justice et j’en passe, un problème persiste : les femmes et l’image qu’elles véhiculent, n’est toujours pas respectée ni prise au sérieux.
Aujourd’hui alors que nous sommes dans une société dite “civilisée”, dite “pour les droits humains”, dite “égale en tout genre, devant la justice”, dite “progressiste”, des femmes ont encore en 2020 besoin de se battre pour la moindre particule de respect, d’égalité et de défense judiciaire. La culture du viol et la soumission des femmes reste omniprésente dans notre monde “moderne” et cela est influencé de bien des façons.
A travers cet écrit, je souhaiterais montrer que les lois sont censées régir les droits des femmes mais que la justice, patriarcale, en est en réalité l’unique dirigeante. Il n’y a là encore une fois, aucune considération sur comment l’application – ou plutôt, la non application de ces lois affectent moralement, éthiquement et de façon durable la place des femmes dans la société.
Alors que notre société tend à protéger les victimes de viols, les chiffres révèlent l’inefficacité de la justice en la matière, aussi rappelons-les :
– 70 % des plaintes pour viols sur mineur-es sont classées sans suite, 52 % des plaintes instruites sont ensuite déqualifiées et correctionnalisées, 0,3 % des viols sur mineur-es font l’objet d’un procès pour viol (1)
– Une femme sur 6 et (1 homme sur 20) ont subi au moins un viol ou une tentative de viol dans leur vie, dans plus de 60% des cas en tant que mineur.e.s. (1)
– Les condamnations pour viol ont baissé de 40% en 10 ans. (1)
– Plus de 34 000 auteurs présumés ont été impliqués dans des affaires de violences sexuelles (viols, agressions sexuelles et harcèlement sexuel sur personnes mineures et majeures) traitées par les parquets en 2018, 9 142 ont fait l’objet de poursuites, 62 ont accepté et exécuté une composition pénale et 2 274 ont bénéficié d’un classement sans suite dans le cadre d’une procédure alternative aux poursuites (2)
– En France, entre 5 et 10% des victimes de viol portent plainte et seulement 1 à 2% des viols aboutissent à une condamnation des responsables en cour d’assise.(3)
Voici pourtant ce que la loi dit en terme d’agressions et de violences sexuelles :
– Article 222-23 à 222-26 du code pénal : Le viol est un crime. Il est défini par le code pénal comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise. » Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, par le doigt, par un objet.
– Articles 222-22 et 222-27 à 222-30 du code pénal : Les agressions sexuelles autres que le viol sont des délits.
– Article 222-22-2 du code pénal Constitue également une agression sexuelle « le fait de contraindre une personne par la violence, la menace ou la surprise à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers ».
– Art. 222-30-1 -Le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Face aux différences entre la loi et les chiffres qui en ressortent, les failles judiciaires sont énormes, et insupportables pour les victimes.
Par ailleurs, voici ci-dessous un résumé de l’arrêté récent de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 (4) :
L. contre M.G pour : “chefs de viol et agressions sexuelles aggravées” qui a été rejeté et requalifié en “non-lieu partiel rendu par le juge d’instruction et renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel sous la prévention d’agressions sexuelles aggravées”.
Dans cette affaire, les juges ont retenus que la déclaration de la victime, disant que “ [qu’]il l’a pénétré à force d’insister avec sa langue” n’a été assortie d’aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement, ne caractérisait pas suffisamment une introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration. Les juges ont donc statué que les éléments caractérisant un viol étaient insuffisants ici.
De plus, dans cette affaire, la décision de la Cour de Cassation fait totalement opposition au code pénal (cf. lois citées plus haut).
Nous sommes donc face à une femme, qui à l’époque des faits était âgée de 13 ans, qui saisit la justice française afin de dénoncer les crimes sexuels commis contre elle par son beau-père (ce qui n’effacera en rien les préjudices psychiques et physiques qu’elle risque de garder à vie) pour aboutir à une requalification des faits, avec de nouveaux critères exigés par les juges (pour plus de précisions, voir cette vidéo d’OLF et d’avocates pénalistes). Et le plus important, pour ne pas dire le pire : encore un énième détour, une régression, un nouvel obstacle dans cette procédure qui a déjà été un combat pour être menée au tribunal.
Alors, à la “justice“ permettez-moi de vous rappeler ce que les femmes doivent supporter en parlant, car oser parler dans un monde où les femmes ne sont pas prises au sérieux, réagir dans un monde où l’on nous demande après la violence d’un viol d’aller immédiatement voir un médecin puis les autorités “compétentes”, reste extrêmement difficile. On demande ici aux femmes d’oser encore une fois dévoiler leur intimité, prouver leur crédibilité puis de faire face à une personne qui a commis le pire sur elles et qui les a détruites à tous les niveaux. Comment oser parler face à une justice qui refuse de les entendre car elles étaient trop jeunes, car elles ont été droguées, car c’était leur conjoint…?
Même en osant apporter des preuves alors que souvent elles n’ont que leurs paroles, les faits cités plus haut les ont découragés, le chemin est bien trop semé d’embûches.
Et quand elles ont tout dépassé, tout osé : affronter le refus et se faire calomnier, diffamer ?
Alors, en 2020 je vous demande : comment les femmes qui ont dû se battre pour avoir la loi, la légalité avec elles peuvent-elles continuer à vivre sereinement, en sachant que la justice demande sans cesse aux victimes d’apporter plus de preuves de ce qu’elles ont subi, plutôt que de se tourner vers les agresseurs et les confronter à la responsabilité de leurs actes ?
Je vous demande aujourd’hui, comment des juges peuvent oser prononcer en toute impunité, sans honte des mots tels que “ aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement, ne caractérise pas suffisamment une introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration” et ne pas considérer ces actes pour ce qu’ils sont : des VIOLS PEDOCRIMINELS ?
Cette femme, L., avait 13 ans, aujourd’hui elle a osé, elle a fait preuve de courage et a eu foi en la justice de notre pays. Aujourd’hui, vous venez d’anéantir des centaines d’années de combat pour le droit à la justice, pour le droit des femmes, d’enlever la légitimité aux femmes, à leur parole, à leurs actions. Aujourd’hui les femmes ont peur.
J’aimerais savoir pour toutes nos mères, pour toutes nos filles, pour toutes nos sœurs, quel est notre avenir ? Car moi, j’ai peur. J’ai peur, car les lois n’empêchent pas les criminels d’agir. Les lois ne protègent pas les victimes. Car le droit ne considère pas les discriminations structurelles auxquelles les femmes doivent faire face. Car les procédures sont trop longues et constamment remises en cause. Car notre parole ne vaut rien sauf si nous avons le sang de notre âme déchirée et en lambeau sur nous (de préférence avec l’ADN de l’accusé sinon on ne nous croira toujours pas).
J’ai peur pour toutes mes amies qui tiennent la main de leurs filles et qui doivent s’inquiéter de leur propre sécurité sur le chemin de retour seules après les avoir déposées à l’école ; qui doivent s’inquiéter de la façon dont elles pourront protéger leurs filles tout au long de leurs vies, de tous ces prédateurs car la justice ne les aide pas, ne les rassure pas. J’ai peur pour ma sécurité et celle de mes futurs enfants.
J’ai peur car la place des femmes et leurs droits sont continuellement remis en cause . Et avoir le courage de dénoncer n’est plus suffisant et on nous ignore.
Les femmes se sont toujours battues et elles continueront à le faire avec ou sans la loi. Les femmes ne doivent plus attendre pour être en totale sérénité, sécurité, reconnues entièrement et légalement. Les femmes ne doivent plus laisser passer les atteintes commises contre elles et leur image. Nous ne devons plus attendre et nous continuerons de nous battre, pour qu’un jour la justice, les mœurs, l’égalité et la sécurité de la place des femmes dans la société soient enfin reconnues, acceptées et enfin incontestables.
Je m’adresse à la justice française : combien de temps allez-vous encore attendre pour vous former aux violences masculines contre les enfants et les femmes ? Combien de temps encore allons-nous devoir supporter de voir les agresseurs, nos oppresseurs impunis quand les victimes sont contraintes de vivre dans la peur ? La reconnaissance des droits des victimes passe par une application stricte des lois qui sont censées les protéger.
Comment osez-vous parler de justice ? Quand des femmes vivent dans la peur et dans la démonstration constante de leur intégrité alors même qu’elles ne sont coupables de rien ? À quand un partage de la charge de la preuve (comme au Canada par exemple) ? La parole d’un agresseur qui se dit innocent est-elle plus importante que les “manques de preuves” d’une victime ? C’est donc dans cette justice là que nous vivons ? Ce n’est pas une justice que de nous sentir seules et démunies, ce n’est pas non plus le rôle de la justice de remettre en cause nos droits continuellement et ce n’est certainement pas une justice que de voir des violences subies décrédibilisées et remises en question par des détails soi-disant “techniques” qui vont à l’encontre même des droits humains.
Responsables de la justice, réveillez-vous et faites votre devoir : protégez celles qui sont en danger et incarcérez ceux qui nous mettent en danger ; rendez aux victimes leurs droits, leur place et leur sécurité. Nous n’en n’avons pas terminé et l’éducation des hommes doit devenir une priorité.
Et je finirais par dire que, vivre dans la peur n’est pas une vie, vivre dans la peur ce n’est pas vivre.
Ophélie A
(1) Source : Association Mémoire Traumatique et Victimologie
https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2016-enquete-ipsos.html
(2) Source : Arrêtons les violences
(3) Source : Basta Mag
(4) Source : Legifrance