Féminisme, toute une histoire
Le mot « féminisme » apparaît d’abord comme un terme médical péjoratif décrivant la « féminisation pathologique des sujets masculins » avant de désigner la lutte pour les droits des femmes et pour une société égalitaire. Il est coutume de parler de « vagues » à propos de l’histoire des combats féministes, pour en évoquer à la fois les grandes périodes et les principaux courants.
Où faire commencer l’histoire du féminisme ? Dans le contexte des Lumières et de la proclamation des droits universels de l’Homme, la Révolution française est le berceau des premières revendications. Face à une démocratie exclusivement masculine où les femmes étaient privées de la citoyenneté, Olympe de Gouges réclame en vain l’égalité politique dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791). Si des figures féminines marqueront le XIXe siècle, comme Flora Tristan ou Louise Michel, c’est à la fin du XIXe que l’on situe la naissance de la « première vague » du féminisme. Il s’agit d’un mouvement plus structuré, d’inspiration républicaine, dominé par Maria Deraisme et Léon Richer, puis Hubertine Auclert. Il lutte pour le droit des femmes à l’instruction, au travail et à la maîtrise de leurs biens et pour l’abolition de la prostitution. L’évolution du statut des femmes s’amorce essentiellement dans la sphère privée par le biais de la lente déconstruction du Code civil napoléonien (1804), qui faisait d’elles d’éternelles mineures, sous l’autorité du père puis du mari. Hubertine Auclert incarne le combat des féministes suffragettes pour le droit de vote, « clé de voûte » des autres droits ; celui-ci ne sera accordé aux femmes qu’en 1944.
La deuxième vague et le MLF
Si Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, paru en 1949, fera date dans l’histoire du féminisme, son impact sur la société française n’est pas immédiat. La deuxième vague émerge autour de femmes engagées dans les grandes luttes d’émancipation de la fin des années 1960 – droits civiques, anticolonialisme, lutte des classes, antiracisme, antimilitarisme – avec la naissance du Women’s Lib aux Etats-Unis et du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en France. La manifestation du 26 août 1970 est l’acte de naissance symbolique du MLF. Douze femmes déposent une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, proclamant qu’il y a plus inconnu que ce dernier : sa femme.
Les combats qui unissent le foisonnement de courants féministes rassemblés au sein du MLF sont, d’une part, la lutte pour la reconnaissance de l’oppression patriarcale en tant que système fondant toutes les autres hiérarchies et, d’autre part, le combat pour le droit des femmes à avorter, à s’appartenir et à se préférer. Plusieurs courants de pensée coexistent au sein de cette vague : le féminisme différencialiste incarné par Antoinette Fouque, qui souhaite valoriser une « spécificité » féminine, et le féminisme universaliste, qui considère les différences femmes/ hommes comme le produit d’une construction sociale.
En leur sein, le courant « Lutte de classes » veut marier les combats des gauches avec les luttes des femmes pour leur émancipation, tandis que les féministes radicales matérialistes (avec Christine Delphy) mêlent une culture politique marxiste à une sociologie féministe partant de l’expérience des opprimées, pour déceler l’appropriation des femmes par les hommes en tant que classe de sexe. L’affirmation « Le privé est politique » s’impose comme l’une des clés de l’analyse des militantes En 1971, des femmes célèbres reconnaissent avoir avorté clandestinement dans le manifeste des «343» ; l’année suivante, l’avocate Gisèle Halimi défend une jeune fille ayant avorté après un viol, lors du retentissant procès de Bobigny. La loi Veil autorisant l’avortement est votée en 1975 mais n’est définitivement adoptée qu’en 1979.
Les féministes dans les programmes scolaires : une transmission en pointillés
Exception notable des disciplinaires scolaires, l’éducation civique, qui décortique en classe de 5e le thème de l’égalité, est l’occasion pour certains manuels d’aborder le combat pour l’égalité politique et contre les discriminations et les stéréotypes frappant les femmes.
Si elle permet de mettre un coup de projecteur sur certaines figures féministes, ce n’est guère le cas des programmes d’histoire qui offrent un catalogue d’actions masculines. Les féministes, quant à elles, n’apparaissent dans les manuels qu’en pointillé. Les classes de 4e peuvent ainsi aborder la place des femmes dans la Révolution française, mais le thème n’est qu’optionnel. Pour le niveau 3e, la découverte des « hommes et femmes de la résistance » privilégie surtout les hommes, Lucie Aubrac n’apparaissant que de manière furtive dans les manuels. Le chapitre consacré à la Ve République invite pour sa part à considérer les adaptations de la législation aux demandes de la population et se résume à l’IVG, dont la question est inégalement abordée selon les manuels. Si certains y consacrent deux pages pleines, d’autres ne font que survoler la question à l’aide de 2 ou 3 documents.
Preuve que ces outils au service de l’éveil des consciences ont encore fort à faire pour valoriser les combats féministes qui jalonnent notre histoire commune.
Noémi
Une troisième vague ?
Les nominations de Françoise Giroud au poste de Secrétaire d’État à la Condition féminine (1974) et d’Yvette Roudy, Ministre des Droits de la Femme en 1981, montrent que les enjeux féministes entrent progressivement dans la sphère publique – même s’il faudra attendre 30 ans pour voir réapparaître un ministère des droits des femmes de plein exercice, en 2012.
Yvette Roudy, qui avait milité pour le remboursement de l’IVG, fait voter la loi sur l’égalité professionnelle (1983), rappelant qu’« à travail égal, salaire égal ». Le travail devient le noyau central des luttes féministes avec la condamnation du harcèlement sexuel au travail (loi Neiertz de 1992) et la demande de l’application de la loi sur la Parité (1999). Les lois récentes concernent plutôt la famille, avec la loi sur le nom de famille (2001) ou encore la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe (2013). C’est dans les années 1990 qu’émerge ce que certains nomment une «troisième vague » : les approches féministes intersectionnelles, qui cherchent à penser l’articulation entre les différentes formes d’oppression, et les mouvements queer, qui s’intéressent à la marge de manœuvre des individus face aux normes sociales et culturelles du patriarcat. Les théoriciennes et militant-e-s queer, à l’instar de Judith Butler, imaginent une révolution par la prolifération des genres, appréhendés comme des rôles multiples et changeants que chacun-e pourrait endosser, ou performer, à sa guise. D’autres courants féministes universalistes, héritiers de ceux de la 2e vague, critiquent le queer pour sa propension à minimiser la réalité de l’oppression des femmes, et à leur faire porter seules la responsabilité de s’en libérer. Dans un contexte de montée de l’individualisme, l’affirmation « c’est mon choix » tend parfois à effacer toute réflexion politique sur la fabrication des consentements, intrinsèque aux rapports de domination, et à dépolitiser le sexisme.
Malgré ces « vagues », les divers courants féministes ne sont pas enfermés dans des époques et n’ont jamais disparu totalement à certaines périodes de l’Histoire. Les pratiques et théories féministes sont constamment réinterrogées. Le féminisme est un combat perpétuel contre un patriarcat qui sait changer de visage et renouveler ses attaques au gré des avancées sociales, et de la nécessaire formulation de nouvelles revendications. Une certitude demeure : la lutte pour l’égalité pleine et entière et la liberté des femmes est toujours d’actualité !
Justine et Samira
Le patriarcat fait de la résistance
Si l’histoire du féminisme est jalonnée de victoires et de grands progrès, elle comporte également des contrecoups et des revers. Souvent, les attaques les plus virulentes ont immédiatement suivi des périodes durant lesquelles les idées féministes avaient été développées et parfois concrétisées.
A la fin du XVIIIe siècle par exemple, les « clubs de femmes » des premières années de la Révolution sont vite muselés par la Convention. L’Empire accentue ce backlash par l’adoption du Code civil dit « Code Napoléon », qui inscrit la domination masculine dans la loi.
Durant les deux guerres mondiales, les femmes sont souvent mises en avant par les gouvernements pour illustrer l’effort national. Mais la paix revenue, les volontés d’émancipation sont mises au second plan : les enjeux économiques et les politiques natalistes prennent le dessus et renvoient les femmes à leurs foyers.
De nos jours encore, les mouvements masculinistes exercent un lobbying intense, notamment auprès des parlementaires, pour modifier le droit au détriment des femmes.
L’histoire nous le rappelle avec force : ne baissons jamais la garde !
Paul