Bilan des impacts de la crise du coronavirus : une pandémie révélatrice des inégalités femmes-hommes
Violences de conjoints
Les chiffres en Europe et partout ailleurs, sont catastrophiques : partout où les gouvernements ont choisi le confinement, les appels et les signalements de violences contre les femmes ont nettement augmenté. Au Royaume-Uni, c’est 25% de signalements pour violences familiales en plus à la National Domestic Abuse Helpline. En France c’est une hausse de 32% des signalements pour violences conjugales en gendarmerie. Aux Etats-Unis, au Texas, les appels à la police ont augmenté de 20%. Au Brésil et au Mexique, c’est une augmentation de plus 50% des demandes d’assistance pour violence domestique. Et la liste macabre des pays concernés par ces hausses de la violence des hommes continue et s’allonge : c’est le même constat en Chine, en Inde, en Italie, en Australie. Le patriarcat est sans frontières.
Les réactions des gouvernements ont été déroutantes d’inefficacité (sauf peut-être en Autriche, où l’éviction du conjoint violent semblait être la solution indiquée) : des lignes d’appels et d’écoute surchargées, des services de police en alerte mais insuffisamment formés, et presque aucun budget déboursé pour une augmentation des places en centre d’accueil en France.
Beaucoup d’articles de journaux ont fait mine de chercher ailleurs ce qui est en réalité l’expression de la domination masculine, pour expliquer l’augmentation de ces violences : la cohabitation forcée serait le terreau de disputes, de conflits, qui se transformeraient en violences conjugales et familiales. Face à la frustration d’être enfermés, des hommes (qui ne sont pourtant pas les seuls à être mécontents de ne plus pouvoir sortir) soulageraient leur colère en frappant leurs femmes et leurs enfants. Nous féministes, sommes fatiguées de comprendre qu’il ne s’agit que de prétextes à l’exacerbation de violences déjà présentes, nous voulons agir. Avait-on besoin d’une telle crise pour regarder, droit dans les yeux, ce qu’il se passe dans nos foyers ? Combien de temps devrons-nous encore répéter que le privé est politique ?
Travail Précaire
Dans cette crise sanitaire, les travailleuses du soin (ou du care) et de la distribution ont été particulièrement mobilisées : infirmières, aides-soignantes, assistante de vie familiale, aides à domicile, travailleuses sociales, femmes de ménage, caissières… Autant de femmes, déjà précarisées, pour la plupart racisées, victimes du détricotage des services publics hospitaliers et sociaux, surreprésentées dans ces filières ; qui subissent encore de plein fouet la pression économique et sociale de la crise et se mettent en danger tous les jours. Dans les pays confinés, certaines des plus pauvres ont été privées de leur seule source de revenus sans possibilité de compter sur des aides d’États. A la détresse sociale de ces femmes, aucun gouvernement ne répond efficacement : pourtant le moment serait idéal pour augmenter leurs salaires, valoriser ces emplois, et renforcer les systèmes de santé et d’assistance de vie. L’anxiété gouvernementale se porte davantage sur la situation de l’économie française et de la bourse, plutôt que sur la santé de ces travailleuses “en première ligne” – l’emploi d’un vocabulaire guerrier permettant de faire croire (et accepter) que ces sacrifiées seraient inévitables; et qui sont pourtant bien plus indispensables à notre société que n’importe quelle entreprise.
En France, certaines femmes en arrêt de travail forcé n’ont jamais reçu la partie complémentaire de leur salaire, normalement versée par leur employeur. Certaines sont des mères célibataires, élevant seules leurs enfants. Et pour elles, cette réduction de leur salaire est synonyme de mise en danger : comment nourrir ses enfants et payer son loyer avec seulement quelques centaines d’euros pour tenir un mois ?
Charge mentale
Dans cette crise sanitaire, l’injuste répartition des tâches domestiques nous a sauté aux yeux : d’après un sondage Harris, 68% des femmes ont assumé davantage de tâches ménagères que leur conjoint. L’Ifop a recensé une augmentation de 49% des conflits dont les sujets sont les tâches domestiques. Grand privilège masculin que celui de pouvoir se la couler douce à la maison! Les femmes qui ont dû et doivent encore gérer la scolarité et la présence de leurs enfants au foyer – elles ont assuré à 80% le suivi scolaire, elles ont eu la garde des enfants 4 heures supplémentaires par jour; ont été légions à témoigner de cette situation inégalitaire sur les réseaux sociaux. Mais les gouvernements restent muets concernant ce phénomène, qui pour eux relèvent de la vie privée, de l’invisible, ou d’une norme à éviter de remettre en question. Pourtant éduquer les hommes et les garçons à la vie ménagère serait le premier pas vers des foyers plus égalitaires.
Épuisées, de nombreuses femmes et féministes se sont mobilisées pour déculpabiliser leurs pairs, c’est d’ailleurs l’objectif de notre campagne #SoeursConfinées à Osez le Féminisme !.
La continuité pédagogique imposée par le gouvernement français repose aussi majoritairement sur les mamans, mais cette école à la maison ne fait qu’alourdir leur journée éreintante entre télétravail (pour celles qui le peuvent), tâches ménagères, gestion des enfants et enseignement scolaire. Quand les femmes auront-elles droit au repos ? Comment cette école de fortune ne peut-elle pas creuser les inégalités entre les classes sociales ? Comment ce violent retour au foyer ne peut-il pas creuser les inégalités entre les sexes ?
A crise internationale, féminisme international
La crise sanitaire du coronavirus agit comme un catalyseur : elle révèle et amplifie les discriminations sexistes que nous vivons depuis des millénaires. Mais il n’y a pas de fatalité, nos ovaires ne nous condamneront pas à vivre à genoux (merci Simone !). Partout dans le monde, nous sommes nombreuses à nous révolter et à ne plus tolérer cet état de fait.
Le patriarcat s’étend à l’échelle planétaire, se reproduit sous diverses formes mais toujours dans le même but : celui de nous asservir. Alors, si le patriarcat est international, nos mouvements féministes doivent l’être également. Maintenant, plus que jamais, une solidarité des femmes, internationale, politique et revendicative, est indispensable. Il est bon d’espérer, que peut-être, après la crise, nos réseaux féministes seront solidifiés et nos unions pérennisées. Il est bon de construire et d’espérer que partout dans le monde, des armées de femmes se soulèveront pour vaincre le virus du patriarcat.
Juliette Tirabasso & Pauline Spinazze
SOURCES :
https://www.bastamag.net/coronavirus-Covid19-femmes-soignantes-TheLancet-inegalites-epidemies-sante
Photos :