La lutte contre l’être droite : un enjeu féministe
Un vote frontiste en voie de féminisation
Une des caractéristiques de l’électorat Front National était la prédominance du vote masculin. Pourtant, si l’on s’en tient aux chiffres disponibles, entre 2002 et 2012 le vote FN a augmenté deux fois plus chez les électrices que chez les électeurs : plus 1 million de femmes quand le vote masculin augmentait de 500 000. Un sondage CSA – Terra-Femina montre que le vote féminin a été de 18% en 2012 contre 7% en 2007. Lors des dernières départementales, la part des hommes ayant voté pour ce parti était de 28%, celle des femmes de 25%, soit une différence de seulement trois points. Election après élection, un constat s’impose : le FN est en train de combler l’une de ses lacunes historiques : le vote féminin.
L’extrême droite contre les femmes
Le Front National rassemble différents mouvements : droite radicale, royalistes, catholiques traditionnalistes, identitaires et autre fachos qui partagent une même fascination pour les attributs virils : culte du chef, comportements violents… Dans L’extrême droite et les femmes, les autrices, Claudie Lesselier et Fiammetta Venner, montrent comment la virilité, ce symbole du patriarcat, est une valeur particulièrement exaltée. Jean-Marie Le Pen est un chef qui multiplie les références sexuelles, comme récemment, traitant Claude Bartolone de “vraie vulve”.
Ces mouvements clairement anti-féministes s’opposent également à « l’intellectualisme » qui a, selon eux, débouché sur le féminisme et l’homosexualité, et proposent de revenir à la racine de la civilisation occidentale, ce moment imaginaire où le mâle blanc hétéro et ses pulsions « naturelles » régnaient en maître absolu.
Le Front National prend également clairement position contre les droits des femmes : il propose le déremboursement de l’IVG, s’oppose à la parité, et certains de ses candidats vont même jusqu’à proposer le retour des femmes au foyer pour réduire les chiffres du chômage. Une fois élu-e-s, à l’Assemblée Nationale comme à l’Union Européenne, les représentant-e-s de ce parti s’opposent aux textes en faveur de l’égalité femmes-hommes comme récemment, en novembre dernier, en votant contre la résolution réaffirmant l’engagement de la France pour l’avortement en France et dans le monde.
Alors comment expliquer cette adhésion soudaine d’un nombre croissant de femmes pour une organisation et des propositions qui sont clairement contre leurs droits et libertés fondamentales ? Est-ce le fruit d’une stratégie de « séduction » de l’électorat féminin ? On peut avancer plusieurs explications.
Des femmes comme figures de proue de l’extrême droite
Tout d’abord le tournant « féminin » correspond à un changement important au sein du parti : l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête en 2011. Marine Le Pen, 43 ans à l’époque, se présente volontiers comme une femme moderne, active, divorcée, mère de famille, avocate, qui lutte sur tous les plans. Au-delà de l’image lissée qu’elle s’efforce de donner à son parti, Marine Le Pen apparaît comme une femme de pouvoir indépendante, portée à la tête de son parti là où d’autres ne l’ont pas été. Depuis 2012, une autre figure féminine montante du FN est mise en avant : Marion Maréchal-Le Pen. Elue députée à 25 ans dans le Vaucluse, elle incarne une image de jeune fille séduisante, alors même qu’elle représente la ligne la plus à droitière du FN. Voir deux femmes devenir les figures de proue d’un parti politique, fait rare, suscite probablement l’intérêt de l’électorat féminin.
On observe la même stratégie à la tête des principaux partis d’extrême droite en Europe : utiliser la féminité (c’est-à-dire ses qualités supposées : douceur, respect, soit l’opposé de l’extrême), pour mieux faire passer des idées nauséabondes et extrémistes.
L’émergence de nouveaux mouve- ments de femmes
On constate également l’existence d’un engagement féminin dans les rangs militants de l’extrême droite. De nouveaux mouvements de femmes apparaissent tels que Les Caryatides, Les Antigones, Belle et Rebelle ou Filles de France. Dans une visée essentialiste et nationaliste, elles vantent la complémentarité – soit-disant naturelle – des sexes, glorifiant la femme dans son rôle d’épouse, de fille, et plus encore de mère, l’assujettissant à l’impératif de la transmission du patrimoine biologique et culturel de la nation ou même de la « race » européenne. Sans surprise, leur première cible est l’Islam, vu comme incompatible avec les valeurs occidentales qu’elles mettent en avant, soutenu par l’immigration, qui ferait venir des hordes de jeunes hommes violents.
Ces groupes reprennent à leur compte certains thèmes féministes : lutte contre la GPA ou contre les violences faites aux femmes par exemple. Mais quand elles luttent contre la GPA, c’est dans une perspective homophobe ; lorsqu’elles dénoncent les violences faites aux femmes, cela s’inscrit dans une stratégie nationaliste – ce sont des « sauvageons » qui violent les « filles de France ». Et lorsqu’elles proposent de nouvelles dispositions pour lutter contre la précarité des femmes, comme le salaire parental, c’est pour s’assurer qu’elles remplissent bien leur rôle d’épouse et de mère, en restant à la maison.
Ces discours s’ancrent dans une longue tradition patriarcale qui fait de la cellule familiale «traditionnelle» un espace à maintenir à tout prix pour garantir la sécurité des femmes – alors même que l’on sait les violences que les femmes subissent en son sein.
Le paradoxe de l’engagement des femmes dans l’extrême droite
Andrea Dworkin a analysé le phénomène dans son ouvrage Les femmes de droite et y propose une explication. Paralysées par la peur et maintenues dans l’ignorance, les femmes d’extrême droite reportent la rage que suscitent leurs véritables agres- seurs – des hommes de leur entourage qui les dénigrent, méprisent ou terrorisent – contre les agresseurs que l’extrême droite leur indique : les autres femmes, les homosexuel-le-s, les juifs, les personnes racisées. Pour Dworkin, « elles deviennent alors facile à contrôler et à manipuler dans la haine ». Elle ajoute « le drame, c’est que des femmes si déterminées à survivre n’arrivent pas à voir qu’elles commettent un suicide ».
Elle conclut en appelant à chercher à transformer les femmes tentées par l’extrême droite en alliées dans une lutte commune de toutes les femmes contre ceux qui humilient, violent et dénigrent. Pour cela, il nous faut les convaincre, encore et toujours, que le FN est et reste l’ennemi des droits des femmes, en démasquant l’imposture et l’instrumentalisation des droits des femmes qui est opérée dans les discours et pratiques des partis d’extrême droite.
Rien ne doit faire oublier les racines profondément xénophobes, antisémites et patriarcales de l’extrême droite.
Anne-Cécile et Gaëtan
Bibliographie – sitographie
Andrea Dworkin, 2012, Les femmes de droite
Claudie Lesselier et Fiammetta Venner, 1997, L’extrême droite et les femmes
«Le projet anti-féministe de l’extrême droite»
Racisme et antiféminisme : les deux faces de l’extrême droite
Au sein de l’extrême droite, on assiste à une réappropriation des thématiques féministes, instrumentalisées pour soutenir un discours raciste. En 2011, la campagne du FN jeunesse : « Ni voilée, ni violée, touche pas à ma sœur » vise à dénoncer les viols dont sont victimes près de 75 000 femmes majeures, en France. Une façon directe de critiquer l’immigration, qui fournirait une foule de jeunes hommes violents prêts à violer et voiler toutes les femmes « françaises ». Autre exemple, ils souhaitent le renvoi des femmes étrangères prostituées et victimes de réseau de traite dans leurs pays d’origine et s’opposent à ce qu’elles soient régularisées, selon eux pour ne pas alimenter les filières d’immigration clandestine…
Le FN prévoit également d’interdire le port du voile musulman dans tous les lieux publics, jusque dans les transports. Si le voile constitue un instrument de domination des hommes sur les femmes, pour le FN, le combattre ne vise pas à plus d’égalité, seulement à stigmatiser une population. L’extrême droite exprime une vision patriarcale de la société, et ne lutte pas pour les droits des femmes mais contre les droits des immigré-e-s dans son programme.
JL