Patriarcat et racisme : une double oppression fondamentale
Genre, classe, race, sexualité : plusieurs systèmes de domination s’imbriquent, se cumulent et s’aggravent les uns les autres. Ils créent des violences, structurelles, institutionnalisées, qui minent le quotidien des personnes qui en sont victimes. C’est particulièrement le cas pour les femmes pâtissant, en plus de la domination masculine, de l’oppression raciste.
Les mécanismes des stéréotypes
Beaucoup de pays dans le monde ont subi le colonialisme de l’Europe pendant des siècles. Cet héritage, qui n’est pas toujours assumé par les pays colonisateurs, fait peser sur les ressortissant-e-s réel-le-s ou supposé-e-s de ces pays des stéréotypes racistes, qui « collent à la peau » des hommes et des femmes.
Ainsi, les femmes dites « noires » sont l’objet de fantasmes sexuels leur attribuant une nature spécifique, dite «sauvage», sensuelle, souvent désignée par des termes animalisants et donc déshumanisants tels que « tigresse » ou « belle jument ». Les femmes asiatiques sont supposées particulièrement soumises. Et si les femmes en général sont supposées être mères de façon innée, les femmes « noires » sont confrontées à des stigmates essentialistes encore plus violents. Ceux-ci visent par exemple à les assigner à l’allaitement ou aux métiers « de service » – mal rémunérés – comme s’il était dans leur « nature » de s’occuper des autres. La naturalisation du groupe opprimé, qui vise à légitimer la domination, est un mécanisme commun aux oppressions raciste et patriarcale.
Ce n’est évidemment pas la couleur de la peau ou l’origine ethnique réelle ou supposée qui détermine le cliché, mais bel et bien les représentations sociales auxquelles les groupes dominants – les hommes et les blanc-he-s – assignent les femmes racisées. Sont « racisées » les personnes auxquelles les blanc-he-s attribuent structurellement une « nature » figée du fait de leur origine réelle ou supposée ou de caractéristiques physiques. Par exemple, les femmes martiniquaises ou guadeloupéennes dites « noires » sont globalement perçues par les blanc-he-s comme étrangères alors qu’elles sont françaises.
Les clichés racistes et sexistes se renforcent les uns les autres. Ces stéréotypes violents rendent possibles les violences individuelles et institutionnelles et empoisonnent le quotidien des personnes racisées.
« […] Être désignée comme exotique, mise en cage, comme en une case attribuée d’office, dans les esprits autant habitués à compartimenter, qu’à posséder des privilèges […] Nous valons plus que cela. Nous avons notre dignité pour nous. Nous devons piétiner les préjugés, pulvériser toute once de racisme à notre égard. Ces droits qui nous sont bafoués, nous devons les arracher. Avec les dents, par- fois me dis-je, allons chercher ce qui nous est dû, de droit, en tant que femmes racisées : le respect ! […] La couleur a façonné le regard des autres sur mon être et m’a mise des barrières, omniprésentes. Elle m’a aussi imposé des plafonds de verre, doubles, là où des femmes blanches n’ont qu’une seule couche de cette misère. Plafonds incassables, du moins le pense-t-on. […] Le racisme, ce n’est pas un ressenti subjectif. C’est un délit, largement impuni. Ajouté au sexisme, qui demeure décomplexé et exempté de loi spécifique à son encontre, ils créent une double oppression épuisante. Les deux sont imbriqués et indissociables pour les femmes racisées. […] Et tant que le privilège blanc refusera de s’interroger sur ses conséquences, nous, les femmes de toutes les couleurs et origines discriminées, les femmes racisées, continuerons d’en pâtir, en nous échinant sur les deux fronts, pour les combattre. […]»
Félidée
Des discriminations à combattre
Une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère (sexe, âge, origine réelle ou supposée, état de grossesse, opinions politiques, orientation sexuelle, nationalité…), dans un domaine précis (accès à un service, embauche…). Défavoriser une personne en raison de l’un de ces critères est formellement interdit par la loi. Pourtant, à double titre : en tant que femmes et en tant que personnes considérées comme issues de l’immigration ou étrangères.
Les discriminations à l’embauche ont largement été démontrées. Des expériences réalisées sur des CV dont seul le nom du ou de la candidat-e a été modifié nous offrent plusieurs enseignements. Si le nom est celui d’un homme « à consonance française », le CV a 28% de réponses positives. On tombe à 23% s’il s’agit d’une femme. Pour un homme dont le nom a une consonance marocaine, le taux de réponses positives descend à 21%, à 11% pour une femme avec un nom à consonance marocaine. Deux CV identiques, mais près de trois fois moins de chance de décrocher un entretien pour la femme marocaine que pour l’homme blanc (Petit, Duguet, L’Horty, du Parquet and Sari. 2013. « Discrimination à l’embauche: les effets du genre et de l’origine se cumulent-ils systématiquement? ». Economie et Statistiques 464-465-466: 141-153.).
Etre une femme d’origine étrangère, réelle ou supposée, c’est faire face à un plafond de verre, un plancher collant et une porte fermée. Dans la sphère professionnelle, il est donc primordial de s’attaquer aux discriminations dans l’accès à l’emploi et au sein de l’entreprise, en mettant en place de véritables plans d’action pour lutter contre les discriminations et en appuyant les femmes discriminées dans leurs plaintes contre leurs employeurs.
« Nous agissons dans les rouages d’un système dont le racisme et le sexisme sont des piliers fondamentaux, établis et nécessaires au profit. » Audre Lorde, « De l’usage de la colère; la réponse des femmes au racisme », 1981
Un combat féministe et antiraciste
Les discriminations dans la sphère professionnelle sont emblématiques de la hiérarchie sociale et des violences produites par l’imbrication des oppressions. Le racisme est bien plus qu’une attitude, c’est un système d’oppression auquel chacun-e participe parfois, sans forcément s’en rendre compte.
La société est d’abord construite par et pour les hommes, avec des mécanismes d’exclusion des femmes des prises de décision et un système de vio- lences masculines auquel aucune femme n’échappe. Cela se cumule avec le fait que les femmes racisées sont encore plus exclues des lieux de pouvoir, des médias et même des organisations représenta- tives. L’éviction de ces femmes invisibilise les oppressions spécifiques dont elles sont victimes et l’urgence de les combattre.
Par exemple, alors même que nombre de violences sexuelles visent des femmes en tant que femmes racisées, la loi sur le viol et les agressions sexuelles n’évoque pas le racisme comme une circons- tance aggravante. Cela faisait pourtant partie des mesures annoncées en avril 2015 dans le plan gouvernemental de lutte contre le racisme, mais dont nous attendons encore l’effet dans la politique pénale. L’imbrication des différents méca- nismes de domination ne mène qu’à leur renforcement mutuel. Il faut lutter contre le racisme comme système de domination en soi, mais ne pas oublier que les femmes racisées sont doublement opprimées.
Julie et Lucie
Être femme dans une société patriarcale est difficile. Être femme et victime du racisme l’est davantage encore. En plus de lutter au quotidien contre les oppressions machistes, les femmes sont sans arrêt renvoyées à leur origine réelle ou supposée et se battent aussi contre des discriminations spécifiques. Parler de personnes « racisées » renvoie le racisme à celui ou celle qui l’exerce et non à celle ou celui qui le subit. Le terme vient du mot race, et comme le mot racisme, porte en lui la critique même du concept de race humaine.
On sait que parler de race humaine est faux du point de vue biologique : la «race» est donc une construction sociale appliquée à certain-e-s individu-e-s minoritaires pour justifier le système d’oppression raciste. Le terme de « racisé-e » met l’accent sur le fait de renvoyer une personne à une origine ou à une supposée race d’après des caractéristiques physiques. Une valeur sociale est accordée à la couleur de peau, qui devient le marqueur d’une inégalité proclamée naturelle, ce que F. Fanon a nommé : le schéma épidermique racial (1952).
Justine