ECOLOGIE et FÉMINISME pour une même URGENCE !
Depuis ses origines, l’écoféminisme est un mouvement politique populaire initié par des femmes dans plusieurs pays, contre des oppressions environnementales-racistes-sexistes. L’écoféminisme revient comme un outil utile pour penser et agir face aux dérèglements climatiques, aussi liés à la continuité des violences masculines. C’est une clé pour vivre dans ce trouble et nous rappeler qu’il est possible d’agir collectivement en urgence.
Émilie Hache le rappelle dans Reclaim, nos préoccupations actuelles résonnent avec l’écoféminisme d’hier. En 1980, des écoféministes réagissaient aux dangers de la guerre nucléaire, les écoféministes d’aujourd’hui réagissent à l’accélération du dérèglement climatique et aux menaces que cela fait peser sur la vie humaine, non-humaine et les conditions démocratiques.
C’est que la domination masculine à l’origine des destructions croisées des femmes et du vivant est toujours à l’œuvre. Cette domination se maintient sur un dualisme entre nature et culture. Selon cette logique, les femmes seraient irrationnelles, plus sensibles et impures parce que proches de la nature ; par opposition à la raison, la pureté et le sacré qui seraient des qualités propres aux hommes, proches de la culture. Les dominants hiérarchisent ainsi les hommes comme supérieurs aux femmes, et la culture comme supérieure à la nature. Ils justifient ainsi la mise sous contrôle des femmes et de la terre. Un contrôle maintenu pour les exploiter, pour nous exploiter. Un groupe social -principalement des hommes blancs- tire profits de cette double exploitation, tandis que la majorité subit ses effets dégradants.
Ce dualisme hiérarchise le système de valeurs dominant, et des organisations l’entretiennent et le modernisent. C’est le cas du travail en entreprise par exemple. Parce que les injonctions viriles (vitesse, compétitivité, conquête, mise en concurrence…) se conjuguent bien avec les injonctions productives de l’entreprise et de la finance. Les deux systèmes (viriliste et productiviste) s’entretiennent ainsi l’un l’autre. Cette conception du travail, de l’entreprise et de l’économie est ancrée dans nos esprits. Si fortement que cet imaginaire dominant nous fait croire que c’est comme ça partout et pour toujours, qu’on ne peut pas s’en défaire.
Le travail est considéré comme un levier pour accéder à l’émancipation (économique, sociale,…). Avec la prise de conscience des limites planétaires, cette vérité réaliste est remise en question. L’horizon d’une émancipation, via le travail, accessible par toutes et tous semble s’éloigner puisque la Terre n’a pas une taille qui permet à plusieurs milliards de personnes d’accéder aux idéaux de progrès et de développement souhaités. Nous avons peut-être confondu émancipation et modernisation. Et confondu égalité avec les hommes et progrès. Ce modèle dominant est hors-sol. Et sans avenir puisque qu’il n’y a pas de deuxième planète, que les « ressources » sur lesquelles ce modèle s’appuie sont en quantité finie et en partie épuisées. Le temps est donc venu de chercher notre nouvelle définition de « l’émancipation ». Nous pouvons aussi encore éviter le piège de « l’égalité » qui nous fait croire que le modèle masculin serait à suivre, à imiter, à reproduire. Par exemple, est-ce que l’égalité salariale est un combat d’avenir ? S’il s’agit de s’aligner sur l’exemple existant et de se conformer à l’organisation actuelle du travail salarié, c’est non !
Il n’est pas évident de remettre en question l’émancipation et l’égalité, de repenser pour quoi on agit. Cette bascule peut amener doutes et débats. Elle ne devrait pas nous faire abandonner les luttes féministes ou les faire passer au second plan après le climat, puisque l’écoféminisme est une formidable combinaison ! Déjà avant 1970 des femmes s’opposaient à l’appropriation, l’extraction et l’exploitation d’elles-mêmes et du vivant. Elles avaient subi cette domination virile qui s’avère être à l’origine de l’état actuel de la planète et avaient pressenti que ce rapport au monde n’est pas à suivre. Nous avons la chance d’hériter de ces expériences. Et donc à notre tour, méfions-nous de l’injonction à se « moderniser » ou à « toujours croître » et montrons que l’explosion des inégalités femmes-hommes et les catastrophes climatiques sont deux effets d’une même cause. Et que nous pouvons agir face à ça.
L’écoféminisme propose des formes d’actions collectives pour nous rassembler plutôt que subir la situation de manière individuelle et passive. En ce sens, le mot reclaim signifie à la fois réhabiliter et se réapproprier quelque chose de détruit, le modifier et en même temps être soi-même modifié·e. C’est une idée de réparation, de régénération et de réinvention. Ce n’est pas un « retour à », pas un retour en arrière, pas une volonté de renvoyer les femmes à la cuisine.
Donc, libérons-nous de cette caricature de l’écoféminisme en menace essentialiste, de la crainte de porter des valeurs dites réactionnaires et de cette suspicion que ce serait une répétition du discours patriarcal. En les dépassant, nous pourrons allier féminisme, écologisme et syndicalisme. Alors que la majorité des femmes est exclue du débat et de la prise de décision, les connaissances et pratiques entretenues par les écoféministes deviennent des modèles précieux de comment résister et vivre dans le futur. Les écoféministes cultivent ce prendre soin, avec des stratégies quotidiennes pour résister courageusement. On peut s’en inspirer. Encore sur le travail : la valeur qu’on accorde au soin est revenue dans l’actualité avec la pandémie Covid-19 on a bien vu que le soin (médical, familial, …) est à la fois essentiel et très fragilisé.
Le plus grand défi est que nous devons faire adopter les double lunettes du genre et du climat par toutes les organisations (public, entreprises,…), dans tous les domaines et rapidement. Pour que les mesures écologiques et climatiques ne fragilisent pas plus les femmes et que les femmes puissent décider.
Par exemple, pour que la transition énergétique des transports ne soit pas pensée qu’avec un objectif carbone mais bien avec les besoins en mobilité de toutes les femmes. Ou pour que le genre soit pris en compte dans la dette publique de l’Etat et sa possible réorientation vers des projets écologiques. Finalement ces défis en partie inédits imposent de penser et militer encore, sûrement avec d’autres mots, d’autres stratégies et d’autres objectifs.
Zoom : Régénérer le travail des femmes
Nombre d’entreprises reproduisent la double oppression sur les femmes et le vivant. Productivistes, leur empreinte carbone est énorme et presse la hausse des températures. Pour la croissance, le travail maintient la majorité des femmes en situation d’être considérées inférieures et exploitées. Haude Rivoal démontre que les entreprises ne sont pas neutres mais sexuées et qu’y ajouter plus de femmes ne nous libère pas. Alors dans les limites planétaires, le travail en entreprise peut-il être un levier d’émancipation ?
Régénérer le travail d’un point de vue écoféministe, c’est aller plus loin que demander une parité femmes-hommes ou une égalité salariale. C’est chercher à dépasser des récits récurrents qui ne parlent du travail des femmes que sous des aspects socio-économiques manquants (inégalité salariale, travail gratuit, …) ou par le prisme santé-biologie en facteur discriminant (harcèlement sexuel, charge mentale, force physique, …) Ces récits sont répétés et utilisés par les femmes pour décrire leur quotidien, penser leur travail et son futur. Cela peut nous affecter (déni, déresponsabilisation…). Nous devons les dépasser pour faire émerger des changements de façons de travailler et de parler du travail des femmes.
Sources :
1- Reclaim, recueil de textes écoféministes choisis et présentés par Émilie Hache, édition Cambourakis, 2016
2- L’entreprise, ce monde d’hommes, podcast par Victoire Tuaillon sur le travail de la sociologue Haude Rivoal, épisode 29, 2018 https://www.binge.audio/podcast/ les-couilles-sur-la-table/lentreprise-ce-mondedhommes/?uri=lentreprise-ce-monde-dhommes%252F
3-Retour sur Terre : 35 propositions. Livre de Dominique Bourg, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Philippe Desbrosses, Xavier Ricard Lanata, Pablo Servigne et Sophie Swaton.
ANNE-LISE RIAS, PRÉSIDENTE D’OSEZ LE FÉMINISME! 63
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