La sexuation des jouets : rôle assigné aux filles et aux garçons
Pourquoi existe-t-il des jouets « pour filles », et d’autres « pour garçons » ? La division des jouets révèle les stéréotypes de genre et contribue à les reproduire chez les enfants.
Malgré d’indéniables avancées effectuées depuis un demi-siècle, on constate la persistance des inégalités entre femmes et hommes. Leur moindre légitimité n’a pas empêché les rôles de genre de se perpétuer jusqu’à nos jours : infériorisées dans le monde politique et professionnel, les femmes continuent d’effectuer la majeure partie des tâches ménagères. Comment expliquer ces résistances, alors même que l’égalité semble considérée comme une évidence ?
L’éducation joue un rôle de premier plan dans la reproduction des inégalités. Actuellement, on continue d’observer que les enfants apprennent très jeunes à identifier les jouets qui correspondent à leur sexe. Ainsi, ils comprennent qu’il y a deux catégories d’enfants, les garçons et les filles, et qu’il est apparemment très important pour les parents de bien les différencier. Ils sont aussi conscients qu’il existe une hiérarchie entre les deux groupes, et qu’il vaut mieux appartenir à la catégorie des garçons. Passer outre ces catégories est vécu comme une transgression. En agissant sur la construction de l’identité, les jouets contribuent à maintenir les normes du genre et de l’hétérosexualité. Loin de combattre chez les plus jeunes les stéréotypes et les inégalités, on continue ainsi de les enseigner.
La construction de la féminité
Dès l’enfance, les filles subissent un véritable « dressage à la délicatesse », et comprennent que les valeurs associées à la féminité sont systématiquement dévalorisées. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les petits garçons s’intéressent plus rarement aux jouets des filles que l’inverse ! On conditionne ainsi les filles à la maternité : poupées et landaus sont une constante dans les jouets « de fille ». C’est ainsi que l’on construit le fameux « instinct maternel », tout en décourageant les petits garçons de s’intéresser à leur rôle de futur père. De futures mères, mais aussi de bonnes ménagères. On ne compte pas les jouets d’imitation – aspirateurs, ustensiles de cuisine, fers à repasser… – pour faire « comme maman », puisque c’est elle qui s’acquitte toujours de 80% des tâches ménagères.
Il est un autre domaine très important dans le champ des jouets pour fille : l’apprentissage de la séduction et de l’injonction à la beauté. Maquillage, tête à coiffer, déguisements de princesses peuplent les rayons qui leur sont dédiés.
Enfin, on entretient chez les petites filles un idéal féminin dont la vocation est de prendre soin des autres, d’entretenir le foyer et de plaire aux hommes. Une éducation à l’abnégation et à l’attente passive d’un amour idéalisé, grâce auquel elles seront censées se réaliser en tant que femmes. On inculque ainsi aux filles l’idée que seul le regard masculin peut valider l’existence d’une femme et la rendre heureuse.
Du côté des fabricants
En 2008, La Grande Récré a lancé Tim & Lou, une gamme de jouets d’imitation mixte. Ce sont les demandes des parents qui ont été à l’origine de cette démarche : il était difficile – sinon impossible – de trouver une dînette ou un aspirateur qui ne fût pas de couleur rose. En réponse à ces remarques, le fabricant a conçu cette gamme selon un code couleur neutre, à dominante orange, vert et violet. On y trouve, pêle-mêle, chariot de ménage, ceinture de bricolage et mallette de docteur. La stratégie du magasin s’est avérée efficace : en 2012, la gamme Tim & Lou proposait 70 jouets, quand elle n’en comptait que 10 quatre ans plus tôt.
Lorsque les usages changent chez les parents, cela influence les enfants, qui trouvent d’autres modèles à imiter. Cependant, si les consommateurs peuvent peser sur les choix marketing des fabricants, leur marge de manœuvre reste limitée : dans une économie mondialisée, les jouets sont conçus pour le monde entier, et certains pays ne semblent pas prêts à accepter ce bouleversement de l’ordre genré.
Hélène
La construction de la virilité
Les jouets et les jeux proposés aux garçons sont plus nombreux, et surtout plus diversifiés. Ils ont le plus souvent pour thèmes la technique, la conquête et la puissance, tous ces domaines étant totalement exclus des jouets proposés aux filles.
Les jeux de construction pour les plus jeunes, puis les jeux techniques et scientifiques, qui correspondent à l’application d’un savoir socialement valorisé (excluant le ménage, la cuisine et la décoration, réservés aux filles), sont avant tout destinés aux garçons. Cette répartition perpétue ainsi les idées reçues sur la raison masculine et l’intuition féminine.
Par ailleurs, dans l’univers des garçons, la maison n’existe pas. Seule la découverte des espaces extérieurs est proposée. Et associée à cette conquête, l’aventure remplie de surprises permettant l’inventivité, la résistance, le courage et la combativité.
Miroir inversé de l’injonction à la fragilité et à la séduction pour les filles, les figurines d’action conçues pour les garçons ont toujours des muscles hypertrophiés et des visages impassibles, voire menaçants, et peuvent parfois se transformer en machines indestructibles.
La catégorisation des jouets en fonction du sexe de l’enfant est révélatrice des représentations que se font nos sociétés du féminin et du masculin. Les jouets sont de puissants outils de reproduction de l’ordre genré. Ils renforcent les stéréotypes sur les rôles différenciés des femmes et des hommes et séparent les filles des garçons en les empêchant de partager leurs jeux, à l’âge où les enfants construisent leur vision du monde et leur identité.
Les conséquences de cette division sont multiples : surreprésentation des hommes dans l’espace public, intériorisation des normes symboliques qui infériorisent les femmes, culture de la violence et du viol. L’égalité est un apprentissage : en choisissant aujourd’hui les jeux de nos enfants, nous contribuons à construire la société de demain.
Agnès
La crèche Bourdarias… en avant vers l’égalité !
Depuis 2009, la crèche Bourdarias de Saint-Ouen met en place des initiatives afin de privilégier une pédagogie non sexiste. Dans cet établissement supervisé par le Conseil Général de la Seine Saint Denis, les professionnel- le-s tentent d’agir sur les mentalités. S’inspirant de leur incursion dans une crèche suédoise, les éducateurs-rices de jeunes enfants et les auxiliaires de puériculture de Bourdarias décryptent les activités et les comportements qui créent des distinctions entre les filles et les garçons. Les enfants sont libres de choisir leurs jeux, et les ateliers et les livres intègrent des valeurs d’égalité. Le personnel de Bourdarias s’attache ainsi à changer les représentations en déconstruisant les stéréotypes auprès des enfants et en dialoguant avec les parents. Sensibilisé-e-s à l’égalité dès leur plus jeune âge, il faut espérer que ces enfants conserveront ces valeurs au cours de leur scolarité.
Marion