Les femmes : les grandes oubliées des prix littéraires ?
Chaque automne sont décernés les principaux prix littéraires français et internationaux : prix Goncourt, prix Nobel, prix Renaudot… On peut saluer le fait que le prix Nobel de littérature ait cette année été décerné à une femme, la canadienne Alice Munro, en tant que « souveraine de l’art de la nouvelle contemporaine ». Le retard va cependant être long à rattraper : Alice Munro n’est que la treizième femme à recevoir cette récompense, qui existe pourtant depuis 1901…
En France, le constat est encore plus accablant. Le prix Goncourt s’illustre particulièrement par le peu d’attention portée à la littérature écrite par des femmes : 10 récompenses accordées à celles-ci, contre 99 à des hommes. Dès 1904, la misogynie du jury du prix Goncourt avait suscité des levées de boucliers : vingt-deux femmes de lettres avaient décidé de créer le prix Femina en réponse à son refus honteux de primer l’écrivaine Myriam Harry. Et il a fallu attendre l’année 1944 pour que les jurys du Goncourt acceptent enfin de récompenser une femme de lettres, Elsa Triolet. Quant au prix Renaudot, on ne peut que s’indigner devant la décision du jury de décerner, en novembre dernier, le prix Essai à Gabriel Matzneff, connu pour être un fervent défenseur de la pédophilie. Encore une fois, les chiffres parlent d’eux-mêmes : seules 13 femmes ont été récompensées depuis la création de ce prix en 1926.
Pendant trop longtemps, l’écriture est restée l’apanage des hommes. Considérée comme une activité qui aurait pu encourager les femmes à la subversion et à l’insoumission, elle a été jalousement conservée par ceux-ci. Si certaines femmes y avaient parfois accès, elles se heurtaient malgré tout à des barrières quasi infranchissables. En effet, comment auraient-elles pu se consacrer pleinement à l’écriture au vu de toutes les tâches ménagères qui leur étaient échues ? Comment s’extraire d’une littérature sentimentale ou destinée à la jeunesse quand les autres domaines étaient férocement gardés par les hommes ? Par ailleurs, nous ne connaissons encore que très partiellement toute l’étendue de la production féminine, pourtant très souvent de qualité. Il est donc essentiel de promouvoir une nouvelle forme d’histoire de la littérature.
Même si les prix littéraires ne constituent pas un passeport pour l’éternité, leur rôle peut être déterminant dans la carrière d’une auteure. Ils permettent de médiatiser énormément la lauréate, ainsi que ses écrits, de faire parler d’eux. Or on sait toute la difficulté qu’ont généralement les femmes à se constituer un réseau, dans quelque domaine que ce soit, du fait de la mainmise des hommes sur les cercles de pouvoir. Malgré la féminisation des métiers du livre, les postes de décision sont toujours aux mains des hommes. Le devoir d’institutions tels que les prix Goncourt ou Renaudot devrait donc justement être de combler les inégalités existantes au sein des cercles de pouvoir, et non de les creuser comme c’est le cas pour l’instant.
Noémie
Virginia Woolf
Virginia Woolf (1882-1941) est une romancière anglaise, auteure d’œuvres majeures de la littérature du XXème siècle. Les femmes se situent au centre de ses romans. En 1929, elle publie Une Chambre à soi, un essai qui interroge la faible représentation des femmes dans l’histoire littéraire. Pour l’expliquer, elle avance la thèse que les femmes ont besoin « de quelque argent et d’une chambre à soi » pour accéder à l’écriture. Cet essai fait date dans la réflexion féministe sur la création artistique, mettant en lumière les conditions matérielles et sociales qui ont empêché les femmes de montrer la pleine mesure de leur talent.
Noémie