« Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura aucun viol »

« Je veux une trêve de 24 heures durant laquelle il n’y aura aucun viol » ainsi parlait Andrea Dworkin, célèbre féministe américaine, en 1983 dans le Minnesota.

« Ce que je voudrais faire, c’est crier. Et dans ce cri, il y aurait les cris des femmes violées, et les pleurs des femmes battues. Et bien pire encore : au centre de ce cri, il y aurait le son assourdissant du silence des femmes (…) Toutes les 3 minutes une femme est violée. Toutes les 18 secondes, une femme est battue par son conjoint. (…) Le pouvoir des hommes en tant que classe repose sur le fait de maintenir les hommes sexuellement inviolés et les femmes sexuellement utilisées par les hommes. »

En 2017, 34 ans après, en France, le constat est toujours aussi désastreux :

– Tous les 3 jours, une femme meurt assassinée par son conjoint ou son ex-conjoint. Soit 123 femmes tuées en 2016. Ce ne sont pas des « drames passionnels ». Ce sont des féminicides. Femmes tuées parce que femmes.

– Toutes les 3 minutes, un homme viole en France. Plus de la moitié des victimes sont des mineur.e.s. Soit 84,000 viols de femmes majeures chaque année, et plus de 190,000 viols au total. 8% à peine des viols aboutissent à une plainte, et 1% à une condamnation pénale. Dans plus de 80% des cas, les violeurs font partie de l’entourage de la victime. Les victimes estiment à 76% que ces violences ont eu des répercussions importantes sur leur santé psychologique.

– Toutes les 2 minutes, une femme est victime de violences conjugales, physiques ou sexuelles. Soit 220,000 femmes victimes de violences conjugales en France. Par peur de représailles dans une société qui leur refuse protection, seules 14% d’entre elles portent plainte.

– 100% des femmes ont déjà été harcelées verbalement ou physiquement dans les transports ou l’espace public. Au final, 20,4% des femmes en France ont subi au cours de leur vie des violences sexuelles (attouchements, aggressions sexuelles, viols ou tentatives de viols). 6 millions de femmes et d’enfants en France doivent vivre avec ce passé traumatique de violence sexuelle. Cela signifie que chacun-e connaît quelqu’un-e dans son entourage ayant subi des violences sexuelles. Combien de vies brisées, d’enfances détruites par cette violence que la société tait ?

A travers le monde, la situation est encore pire. 200 millions de filles sont victimes de mutilations sexuelles (excision, infibulations…). Selon l’ONU, 80% du trafic d’êtres humains concerne les femmes et les enfants, destiné.e.s en particulier à alimenter les circuits de la prostitution, qu‘elle soit illégale comme en France ou dans les bordels comme en Allemagne. 71% des femmes prostituées ont déjà été victimes de violences physiques et sexuelles de la part des clients ou des proxénètes, et 89% souhaitent quitter la prostitution. Il n’y a pas de prostitution heureuse, il n’y a que de la violence sexuelle par exploitation de la misère. La prostitution n’est pas autre chose qu’un viol tarifé. Toutes ces statistiques de violences contre les femmes sont rappelées année après année, chaque 25 novembre, lors de la Journée d’élimination de la violence contre les femmes, et puis on oublie tout jusqu’à l’année suivante !? NON, il est urgent de réagir tous.tes, collectivement.

Andrea Dworkin continue : « Ces statistiques ne sont pas abstraites pour moi. (…) Cela se passe pour une simple raison : les hommes le font, en raison du type de pouvoir que les hommes ont sur les femmes. Ce pouvoir est réel, concret, exercé à partir d’un corps sur un autre corps, exercé par quelqu’un qui considère avoir le droit de l’exercer, en public comme en privé. C’est le résumé et l’essentiel de l’oppression des femmes »

Ces violences sexuelles et physiques contre les femmes sont au cœur de la stratégie de terreur du patriarcat. La culture du viol permet un renversement des responsabilités en incriminant la femme qui a été violée ou agressée : Soit « elle l’a bien cherché » (tenue, lieu ou heure de sortie) soit « elle aime ça la violence » nous raconte-t-on.

« La honte doit changer de camp » clamait déjà Osez le féminisme ! en 2011 lors de la campagne contre le viol. Non seulement les victimes doivent être entendues et considérées comme victimes, mais les agresseurs, les violeurs, les pédocriminels, les proxénètes, les prostitueurs, les lapidateurs doivent être inlassablement combattus, poursuivis et condamnés.

Je rêve d’une société où la culture du viol soit bannie et combattue par tous-tes et par la loi.

Je rêve d’une société qui reconnaisse la responsabilité des clients de prostituées dans la violence qu’elles subissent, et qui lutte efficacement contre les proxénètes.

Je rêve d’une société où la police, la justice, les personnels de santé, d’éducation, les travailleurs.euses sociaux, soient formé.e.s pour détecter les violences des hommes, et pour écouter, accompagner et protéger les victimes.

Je rêve d’une justice efficace où des ordonnances de protection permettent efficacement l’éloignement du conjoint violent pour protéger les femmes et les enfants des violences conjugales.

Je rêve d’une société où une femme comme Jacqueline Sauvage ne soit pas sous l’emprise de son mari, abandonnée à la violence pendant 47 ans, sans secours de l’Etat.

« Il ne peut y avoir d’égalité ou de tendresse ou d’intimité tant qu’il y a le viol, car le viol signifie la terreur. Et je veux un jour de répit, un jour de congé, un jour au cours duquel de nouveaux corps ne s’amoncelleront pas, un jour au cours duquel aucune nouvelle agonie ne s’ajoutera aux anciennes »

Céline Piques

Texte initialement paru dans le journal d'Osez le Féminisme de mars 2016. 
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