Syndiquées, Féministes, même combat !

A la veille du 8 mars, journée internationale de lutte des droits des femmes, pour lequel un appel à la grève 8mars15h40 à été lancé, Osez le Féminisme a interviewé 3 voix syndicales qui nous parlent égalité femmes-hommes : Sophie BINET, Secrétaire générale adjointe de la CGT des cadres et techniciens (UGICT-CGT) et dirigeante confédérale de la CGT, en charge de l’égalité femmes-hommes,  Clara JABOULAY, Présidente du syndicat lycéen l’UNL (Union nationale lycéenne), et Lilâ LE BAS, Présidente du syndicat étudiant l’UNEF (Union nationale des étudiant.e.s de France) . Une rencontre passionnante !

OLF : En quoi féminisme et syndicalisme sont-ils liés ?

Lilâ LE BAS: Personnellement, je pensais avant d’arriver à l’UNEF que lutte syndicale et féminisme étaient des combats nécessaires mais différents. Aujourd’hui, je pense que notre lutte syndicale a pour objectif la transformation sociale en luttant contre tous les phénomènes de domination. Les luttes sont liées et l’égalité des sexes est donc au cœur de notre combat. C’est aussi un impératif démocratique.

A l’UNEF, nous nous mobilisons chaque année contre le bizutage dans les universités, qui est synonyme très souvent de violence, de dégradation du corps des femmes, et qui est souvent le lieu d’agressions sexuelles caractérisées. De plus, nous sommes très vigilant-e-s au sexisme, en particulier le sexisme des affiches de soirées étudiantes avec des images de femmes très sexualisées, comme une infirmière en tenue sexy. Par ailleurs, nous avons obtenu en 2012 la parité obligatoire sur les listes des élections du CROUS, avec une alternance une femme / un homme sur toutes les listes.

Clara JABOULAY : L’UNL est un syndicat de transformation sociale progressiste. Il se doit donc d’être féministe et promouvoir l’égalité femmes-hommes. Nous travaillons sur les questions de santé, en particulier les questions liées à la contraception. Dans notre syndicat lycéen, nous avons lors de notre congrès, pris position pour la généralisation du Pass Santé. Le Pass Santé comprend des coupons liés à des prestations de prévention et d’accès à la contraception. C’est un combat important, car il y a une volonté politique, en particulier dans la région PACA que je connais bien, de le supprimer. Nous avons obtenu un rendez-vous avec la région pour que ce Pass soit maintenu. De plus, la loi prévoit 3 cours d’éducation sexuelle par an. En pratique, les seuls cours sont souvent les cours sur la reproduction en 4ème en SVT ; mais rares sont les interventions spécifiques par les infirmières scolaires, trop peu nombreuses, ou par des personnels qualifiés comme le Planning Familial. Nous nous battons pour que la loi soit appliquée, et que nous puissions parler aux jeunes de plaisir sexuel partagé, et ainsi combattre la norme hétérosexuelle et la culture du porno, centrée sur le plaisir masculin, qui dominent trop souvent aujourd’hui. Je suis fière d’avoir organisé un atelier, pour la première fois, lors de notre congrès annuel, qui rassemble entre 250 et 500 personnes, pour parler accès à la santé, contraception, plaisir, éducation à la sexualité.

Sophie BINET : Le syndicalisme est la lutte pour l’émancipation des travailleurs et des travailleuses. La question est celle de l’émancipation sociale, c’est à dire les rapports de classe, mais aussi les rapports de sexe. Les deux combats doivent aller de pair. Dès l’origine, les femmes ont été présentes à la CGT. « Mélancolie ouvrière », de Michelle Perrot, a le mérite de rappeler par exemple l’histoire de Lucie Baud, qui était à la tête de son syndicat, et à la tête de toutes les grèves dans le secteur du textile avant la Première guerre mondiale. Lors du premier congrès fondateur de la CGT, en 1895, la présidence de la première séance avait été confiée à une femme, Marie Saderne, une corsetière, dans un syndicat encore majoritairement masculin. Une photo emblématique des mouvements ouvriers lors du Front Populaire, représente une femme de la CGT, Rose Zehner, militante syndicale dans la métallurgie. De même, les élections prud’homales ont été mixtes dès leur création en 1910, et ceci bien avant le droit de vote des femmes en 1945. Tout ceci est peu connu, et c’est donc important de lutter contre l’invisibilisation des femmes dans l’histoire syndicale. Après, les syndicats sont à l’image du monde du travail, il existe des secteurs à prédominance féminine, et d’autres secteurs à prédominance masculine.

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Rose Zehner, militante syndicale dans la mettalurgie, 1936

OLF : Quelles sont les difficultés à être une femme dirigeante syndicale ?

SB : En 2007, nous avons adopté une charte de l’égalité femmes-hommes qui est annexée à nos statuts. Nos deux instances dirigeantes, le Bureau (10 personnes) et la CE Confédérale (50 à 60 personnes) sont paritaires depuis 1999, ce qui facilite la prise de responsabilité par des femmes. Cependant les choses ne sont pas simples, puisqu’au dernier renouvellement de la CE Confédérale qui comptait 60 personnes, il n’y avait que 25 femmes candidates. Nous avons donc dû abaisser le nombre de sièges à 50 dans la CE confédérale pour respecter la parité. Il faut donc veiller à susciter des candidatures féminines.

CJ : Souvent, notre parole de femmes est remise en cause, et nous avons du mal à être écoutées. Les filles ont tendance du coup à se censurer, se sentir non capables. Il faut d’abord combattre ce sentiment là. Ainsi, Samya, notre ancienne présidente, a eu la désagréable expérience, lors d’une rencontre avec d’autres organisations syndicales, d’être ignorée et de voir ses interlocuteurs s’adresser au vice-président de l’UNL plutôt qu’à elle.

LL : C’est difficile d’être dirigeante syndicale quand on est jeune, encore plus quand on est une femme. Ainsi, je remarque trop souvent que dans des réunions, qu’elles soient au ministère, ou bien avec des interlocuteurs extérieurs comme les politiques, il est plus difficile de se faire entendre quand on est une femme. Nous sommes moins prises au sérieux.

OLF : Comment prenez vous en compte les droits des femmes dans vos luttes ?

LL : En plus de notre mobilisation contre le bizutage et le sexisme, nous développons aussi un combat pour un meilleur accès à la santé, en particulier pour les étudiantes. Nous militons par exemple pour des centres de santé dans les universités, pour un meilleur accès des femmes à des gynécologues.

Sur la question des violences sexuelles et du harcèlement, nous menons parallèlement un combat collectif autant qu’individuel. Ainsi, il n’est pas rare que dans nos permanences syndicales dans les universités, des femmes viennent se confier être harcelées soit par des étudiants, soit par des personnels de l’université. Ce n’est pas à nous de faire justice, mais nous les accompagnons et les orientons dans leur démarche : démarches administratives, comme en termes de santé (soutien psychologique…).

CJ : Nous organisons une fois par an la « journée de la jupe » où nous appelons filles et garçons à venir au lycée en jupe. Cet événement permet de sensibiliser les lycéen-ne-s sur la question du sexisme et dénoncer les remarques que subissent les filles quand elles se mettent en jupe. Ces événements ont une grande résonance sur les réseaux sociaux et interpellent les jeunes.

SB : Le collectif Femmes-mixité que je pilote a mené différentes campagnes en particulier sur la question des violences sexistes et sexuelles, ainsi que sur les inégalités salariales.

Sur la question des violences sexuelles, le guide « Combattre les violences sexistes et sexuelles », édité par le collectif Femmes mixité est un outil pour l’action syndicale qui rappelle que 5 % des viols et 25 % des agressions sexuelles ont lieu sur les lieux de travail. 1 femme sur 5 a été victime de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle. Nous avons sorti une affiche qui est très appréciée sur le terrain et qui permet de rappeler que le syndicat a un rôle essentiel dans cette lutte. La difficulté, c’est que le patronat refuse toute discussion et considère que la question des violences sexistes et sexuelles n’est pas de sa responsabilité.

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Affiche de la CGT Campagne “Sexisme et violence, Ça suffit !”

Dans l’UGICT (syndicat des cadres et techniciens) que je dirige, nous œuvrons pour que les femmes n’aient pas à choisir entre carrière et maternité. Les femmes ne représentent que 30 % des postes d’encadrement. Pour cela, il faut lutter contre le culte du présentéisme dans l’entreprise, et gagner des mesures permettant une meilleure articulation entre travail et vie privée. Nous avons lancé une campagne « #Viedemere, avoir une carrière c’est toute une histoire » en octobre pour mobiliser sur ce sujet (vdmere.fr).

OLF : Et dans votre organisation interne ?

CJ : Pour donner toute leur place aux femmes dans notre organisation, notre équipe nationale est globalement paritaire, sans appliquer stricto sensu des quotas. Nous sommes également très attentifs à la question de la prise de parole : intervention paritaire dans nos réunions (alternance un homme / une femme), et condamnation de toute remarque sexiste. Ce n’est pas parce que l’on se déclare être progressiste et anti-sexiste que nos pratiques le sont nécessairement, en particulier sur la question de la prise de parole. Il faut donc être attentifs à nos pratiques militantes. Nous envisageons également d’organiser des réunions non-mixtes, car les garçons ont tendance à toujours beaucoup plus parler que les filles, qui se mettent des barrières : « Cela a déjà été dit », « je ne sais pas bien formuler nos idées », « je ne suis pas capable »… 

De plus, il faut dénoncer le silence qui prévaut en cas de violences verbales ou sexuelles. Comme dans la société, la parole de la fille peut être mise en doute, et celle-ci n’ose pas parler pour ne pas nuire à l’organisation. Ce n’est pas admissible.

SB : Le collectif Femmes-mixité donne une impulsion à la question de l’égalité de façon transversale dans notre organisation. Ainsi, le collectif Femmes-mixité s’appuie sur 50 référentes réparties dans les unions départementales et les fédérations. Nous établissons également depuis 2 ans un RSC (Rapport de situation comparée) pour suivre l’évolution de l’égalité femmes-hommes dans nos instances. Les syndiquées représentent 37,5 % des adhésions à la CGT, 30 % des membres des commissions exécutives, mais seulement 17 % des secrétaires générales de fédération, 25 % des secrétaires générales d’union départementale, et 29 % des secrétaires générales de comités régionaux. Ces chiffres sont en progression, mais l’effort nécessite d’être poursuivi. Nous avons eu aussi des reculs sur l’accès à la formation pour les femmes. La commission mixité a édité un guide « Réussir l’égalité femmes/hommes dans la CGT », qui est diffusé à nos 30 000 syndicats et bases syndicales. Nous allons faire un tour de France pour le présenter et former les militant-es à mettre en œuvre une démarche égalité.

Concernant les violences sexistes et sexuelles, la question reste compliquée. Il est prévu dans la charte de la CGT de démettre de son mandat et de ses responsabilités tout agresseur condamné par la justice, ce que nous appliquons bien sûr. Or, dans les quelques cas dont nous sommes informées au collectif Femmes-mixité, souvent la victime demande un appui mais ne souhaite pas poursuivre en justice. Les réticences ont des causes multiples : souhait de régler cela en interne pour ne pas salir le syndicat à laquelle elles sont attachées, défiance face à la justice perçue comme lente et comme une justice de classe, peur d’être jugées comme la fille « qui fout la merde ». Dans la CGT comme dans l’ensemble de la société, les choses fonctionnent encore « à l’envers » avec la responsabilité et la culpabilité portée par les victimes. Le fait que la CGT fasse de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité a ouvert la parole et nous avons depuis quelques cas qui nous sont remontés.

Enfin, à la commission Femmes-mixité, nous pratiquons l’écriture épicène, que nous aimerions voir adopter dans l’ensemble du syndicat, même si nous pensons que ce n’est pas la question à poser en premier.

LL : Si nous portons le combat pour l’égalité femmes-hommes, nous nous devons le pratiquer dans nos organisations. Ainsi, les listes sont paritaires et alternées. Nous avons aussi organisé des réunions non-mixtes, dans lesquelles les militantes se retrouvent pour parler de leur ressenti, et de leurs difficultés face au sexisme. C’est important de libérer la parole pendant ces temps non-mixtes, pour qu’elles soient mieux armées quand elles retrouvent le collectif mixte. Lors de nos réunions, nous alternons aussi les prise de parole : une femme / un homme. Depuis peu, nous avons aussi adopté l’écriture épicène. Enfin, concrètement, pour lutter contre toutes les discriminations, dont les discriminations faites aux femmes, nous avons désigné des « personnes de confiance » dans chacun de nos collectifs qui sont les référent-e-s pour recueillir les témoignages et détecter les actes de discrimination. Mais cela nécessite notre vigilance permanente, car sinon la situation recule inexorablement. Nous essayons d’être particulièrement vigilant-e-s sur la prise de parole et la répartition des tâches.

OLF : Auriez vous une expérience de sexisme à nous raconter ?

CJ : Le jour où un militant de l’UNI (syndicat étudiant de droite) m’a lancé que j’étais devenue présidente de l’UNL « juste parce que j’étais jolie ». A ce moment là, j’ai juste eu envie de pleurer. J’ai eu l’impression d’être jugée comme un « quota ». Ce type de réflexion sexiste est blessant et sape la confiance des femmes.

SB : A titre personnel, lors d’une CE confédérale, j’ai entendu une fois un homme faire une remarque sexiste. Mal lui en a pris, parce qu’il a été hué par la salle et est devenu tout rouge et honteux. Ceci démontre que la parité à la CE Confédérale est vraiment très importante pour protéger contre le sexisme.

LL : L’UNEF a été particulièrement active pour la mobilisation contre la loi travail. Sur les réseaux sociaux, j’ai remarqué que quand nous relayons une intervention médiatique par exemple, les commentaires portaient sur le fond quand c’était un homme, mais portaient sur les attributs physiques quand c’était une fille. Les attaques sexistes sur les réseaux sociaux sont extrêmement violentes.

OLF : Auriez vous une expérience de sororité à nous raconter ?

SB : La solidarité entre femmes n’est ni naturelle, ni automatique. Elle est à construire, par exemple, en réagissant en cas de remarque sexiste envers une autre femme. Je dirais cependant que dans le collectif Femmes-mixité nous avons créé une belle solidarité et un travail d’équipe sans compétition. C’est du coup très agréable et motivant.

LL : La sororité se traduit par une solidarité entre femmes face au sexisme. Lors du temps des élections, les échanges sont souvent violents et libèrent la parole sexiste. Nous restons soudées pour ne pas qu’une fille soit isolée face à des attaques sexistes.

CJ : Entre femmes, nous essayons d’être solidaires dans la prise de parole. Ainsi nous relevons systématiquement quand une femme se fait couper la parole par un homme.

 

Propos recueillis par Céline Piques et Raphaelle Remy-Leleu, Osez le Féminisme !

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