Shéhérazade : un film à (re)voir

Sorti de foyer, Zacchary se voit offrir une jeune fille mineure par ses amis. Il choisit Shéhérazade parmi son groupe de copines sur le trottoir. D’emblée le décor est planté « Je respecte les femmes, c’est juste que je ne respecte pas les putes » lui dit-il. Il tente de la rémunérer avec un morceau de shit, elle le prend et s’enfuit. Shéhérazade tient à se faire respecter.

Zacchary la retrouve et une relation d’amitié se crée entre ces deux âmes en errance. L’ami devient alors le petit ami et très vite le petit ami se transforme en proxénète : il lui offre sa protection, elle lui reverse une partie de ses gains. Le réalisateur, Jean-Bernard Marlin, qui a effectué un travail de recherche documentaire dans le quartier de la prostitution de la Rotonde à Marseille, tient à montrer la vérité des conditions de vie, des comportements, du langage de jeunes marseillais·es aux parcours de vie compliqués, marqués par la violence et la vulnérabilité. Le casting est par ailleurs composé d’acteurs et d’actrices non-professionnelles vivant dans des quartiers défavorisés de Marseille. C’est parfois avec justesse, parfois avec maladresse, qu’il filme le phénomène de la prostitution des mineur·es.

Justesse dans la mise en scène du quotidien de la jeune en situation de prostitution : les passes sordides qui s’enchainent dans une cage d’escalier, la concurrence des réseaux de traite bulgare, la rupture familiale, la violence des clients ou encore la misère de son quotidien. Les moments de tendresse avec sa colocataire elle aussi prostituée et toxicomane, la solitude, l’errance sont également réalisés sans détours, presque sous un angle documentaire.

Maladresse en revanche avec le personnage ambivalent de Zacchary à la fois amant et proxénète. En se transformant en proxénète, il devient acteur de la violence prostitutionnelle de sa protégée. Cette violence, il la cautionne. Pour lui, c’est avant tout une question de business, d’argent « facile ». Lors d’un moment intime, il lui assène « De toute façon, tu ne me touches pas comme ça, tu as touché plein de garçons. » Quand son meilleur ami lui demande s’il peut acheter Shéhérazade, il feint à nouveau l’indifférence. Plus tard, quand ce même meilleur ami viole Shéhérazade, Zacchary se réveille et cherche à se venger. La copine de Shéhérazade le responsabilise, le confronte à la réalité de la prostitution : « Jamais, tu n’as agi comme un homme. Fais-le pour elle. Juste mets-toi à sa place. Elle vend son corps tous les jours. Tu ne vas pas la sacrifier ».

Il aura alors à choisir entre balancer ses amis lors du procès pour viol en témoignant contre eux ou choisir son clan en sacrifiant la vérité et sa protégée. Le film dépeint l’image d’un proxénète amoureux, mais inconscient de ce qu’il fait, de ce qu’il fait faire. Toute la question est là : comment peut-il être à ce point insensible ? Client devenu proxénète, Zacchary, enfant des rues, délaissé par les institutions et sa famille, n’aurait pas le choix. Mais peut-on réellement compatir quand Shéhérazade, elle, enchaîne viols tarifés sur viols tarifés ?

LINA

#OLF59

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