Pénélope Bagieu : « Ces femmes me font vibrer, elles m’inspirent »

Interview de Pénélope Bagieu, illustratrice et dessinatrice de bande-dessinée. Elle a publié en septembre 2016 le recueil de BD Culottées, des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent. Le tome 2 est paru le 26 janvier 2017.

Comment t’est venue l’idée du projet les Culottées ?

Il y avait plein d’histoires de femmes plus ou moins connues, dont j’avais entendu parler et qui me hantaient. J’ai commencé par chercher un prétexte pour les caser en arrière-plan d’une autre histoire, puis je me suis rendu compte qu’elles justifiaient une histoire à elles toutes seules. Ça valait le coup de parler de ces femmes juste pour que les gens se disent « c’est fou, je n’étais pas du tout au courant » et qu’ils aient envie d’en savoir plus.

Comment les as-tu choisies ?

Quand je me suis posé la question de ce qui m’intéressait chez ces femmes, je me suis rendu compte que toutes se sont dit, à un moment de leur vie : « ça suffit, j’en ai marre qu’on me dise ce que je dois faire, je vais faire ce que je veux ! ». À des époques variées, où il était encore plus compliqué qu’aujourd’hui d’être une femme.

Ces femmes me font vibrer, elles m’inspirent, car non seulement on n’entend jamais parler d’elles, mais en plus leurs qualités et leurs compétences ne sont pas du tout valorisées chez les femmes : par exemple, Wu Zetian qui était une impératrice, avait toutes les qualités requises chez un empereur… sauf que ces qualités étaient décriées chez elle parce qu’elle était une femme !

Vois-tu ces femmes comme des féministes, des héroïnes qui font partie d’un matrimoine ?

Oui, elles étaient féministes, car quelle que soit l’époque, elles revendiquaient toutes le droit de faire la même chose que les hommes. Parmi les femmes que j’ai choisies, il y a des artistes, militantes, scientifiques et même une vieille dame qui a simplement sauvé un phare. Chacune, dans sa carrière, semble avoir choisi le domaine dans lequel être une femme est le plus difficile… et en fait non, c’est difficile partout !

Pourquoi ne connaît-on pas ces femmes ?

Elles sont souvent l’élément « femme » d’une liste d’hommes, donc on se dit « c’est bon, on en tient une », et on ne va pas plus loin. On a la femme alibi, le quota… Par exemple, on a une scientifique, Marie Skłodowska-Curie, et elle sert de prétexte pour ne jamais mettre en valeur toutes les autres.

Quand j’ai travaillé sur la vulcanologue Katia Kraft, impossible de trouver des documents sur Katia toute seule : c’est toujours Maurice et Katia. Les ouvrages de scientifiques qui travaillaient avec eux parlent énormément de Maurice et effacent complètement Katia, en faisant référence à sa douceur, à son caractère. Et là, tu te rends bien compte qu’il y a un problème, que ça n’est pas vrai, qu’elle ne pouvait pas être que ça ! Elle était elle-même vulcanologue. Dans un binôme de travail avec son mari, ses seules qualités ne pouvaient pas être de calmer les colères de Maurice !

Pourquoi, à ton avis, les femmes sont-elles moins visibles que les hommes dans des domaines où elles excellent tout autant ? 

Beaucoup d’études montrent que les femmes se sentent systématiquement sous-qualifiées, là où les hommes osent postuler à un emploi bien au-delà de leurs compétences, en se disant simplement “sur le tas, j’y arriverais”. Les femmes ont besoin d’avoir un doctorat dans un domaine pour s’y sentir légitimes, et c’est quelque chose de très soigneusement entretenu.

Est-ce que dans ton métier, tu te perçois comme une inspiration pour les jeunes dessinatrices ou autrices?

Un modèle je ne sais pas, mais chaque fois que j’en ai l’occasion, par exemple quand je vais à des rencontres avec des jeunes gens qui veulent faire ce métier, les filles sont inquiètes : elles ont peur et ont déjà de nombreuses barrières sur “pourquoi elles n’y arriveront pas”. Ce que je leur dis, c’est de vraiment y croire, et comme elles sont des filles d’y croire même deux fois plus, car ce sera plus difficile.

A Angoulême, on a créé un collectif dont l’objectif est juste de dire “arrêtez de faire comme si nous les femmes n’existions pas, arrêtez de dire qu’on est 7% des auteurs du métier alors qu’on est un tiers” : c’est bien la preuve que c’est difficile d’être une femme dans ce métier.

Heureusement, les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses, et mécaniquement elles vont se fédérer. Elles seront une force, un pouvoir. Quand elles représenteront un gros volume dans l’édition, on fera attention à elles et on ne pourra plus les considérer comme un quota.

Se fédérer c’est important. Un des grands leviers du patriarcat c’est de faire jouer la concurrence entre femmes. Les héroïnes des Culottées sont très seules, elles ne connaissent pas la sororité.

Leymah Gbowee, une de mes Culottées, était une femme seule, isolée, victime de violences domestiques, dénigrée… Et pourtant, elle a fédéré les femmes chrétiennes et musulmanes au Libéria pour arrêter la guerre civile. Elle a su dire “ nous sommes les premières victimes de la guerre, ce sont nos enfants qui y vont, c’est nous qui sommes violées, et pourtant, nous sommes systématiquement écartées des discussions et des processus de paix. Nous sommes une personne sur deux, si on se met toutes ensemble, ils sont obligés de nous entendre ”.

Elle a ainsi réussi à rassembler toutes les femmes, elles sont allées s’asseoir devant le parlement où elles ont dit qu’elles ne bougeraient pas tant qu’elles n’auraient pas été impliquées dans les négociations. Elles ont lancé la grève du sexe. Leymah Gbowee a obtenu gain de cause, et elle a eu un Prix Nobel de la Paix.

Si on s’unit, s’il n’y a plus moyen de nous diviser, s’il n’y a plus d’histoire de religion, de se moquer les unes des autres, de se critiquer physiquement, de faire du slut shaming ou de se dénigrer entre femmes, et bien bizaremment, ça marche beaucoup mieux !

Une préférée parmi tes culottées?

Je les aime toutes, et j’ai un lien particulier avec chacune. Mais mon point de départ, c’est Margaret Hamilton, l’actrice qui tient le rôle de la sorcière dans le Magicien d’Oz, le film que j’ai probablement vu le plus de fois dans mon enfance. J’allais toujours me cacher quand elle apparaissait à l’écran, j’avais trop peur; et elle m’a donc toujours fascinée.

Margaret Hamilton voulait jouer des rôles de jeunes premières mais dans tous les castings on lui disait qu’elle était bien trop moche, et qu’il fallait qu’elle change de carrière. Elle n’a pas changé de carrière, mais elle s’est dit qu’elle allait utiliser son talent pour jouer des rôles de sorcières…

Et pour ça, elle était vraiment la meilleure ! Elle faisait tellement peur aux enfants, qu’elle adorait par ailleurs puisque son premier métier était puéricultrice, que suite aux projections tests du Magicien d’Oz, des plans du film ont dû être coupés. Et elle n’a toujours joué, toute sa vie, que les méchantes et les sorcières. Une femme qui a donc trouvé le meilleur chemin de traverse pour poursuivre la carrière de ses rêves, en dépit des obstacles !

Propos recueillis par Marie Allibert

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