Le matrimoine de Christine de Pizan

Le 23 novembre dernier, la presse effarée apprenait un nouveau mot, en plein « débat » sur l’écriture inclusive : le matrimoine. Ce joli mot forgé au XIVe siècle a été utilisé au moins jusqu’au XIXe siècle pour désigner l’héritage des mères. En 2015, HF Île-de-France et Osez le féminisme ! réhabilitent le terme pour les premières Journées du matrimoine, afin de valoriser l’histoire des femmes et les grandes femmes du passé. Revenons le temps d’un article à une grande figure du matrimoine et à un temps où il n’y avait pas d’Académie Française pour sauver la langue d’imaginaires et mortels périls.

 

Le précédent Giovanni Boccacio

Boccace écrivit en 1361 un livre intitulé « De mulieribus claris », Des femmes illustres, un recueil de 106 petites biographies de femmes à imiter ou au contraire à ne pas suivre. Il s’émerveille, alors que des « anciens ont jadis écrit quelques traités des hommes illustres […], comment les Dames ont eu si peu de crédit envers tels Auteurs que jamais elles n’aient obtenu cette grâce d’être mises par mémoire honorable ». Il constate pourtant que « plusieurs d’elles se sont portées non pas moins valeureusement que constamment, voire jusqu’à prendre un courage viril ». Il lance un genre littéraire que Christine de Pisan reprendra à son compte quarante ans plus tard dans La Cité des Dames.

Une femme hors du commun

Si le Moyen Age n’est plus cette période sombre qu’on a parfois décrit, Christine de Pizan (1364-1430) n’en reste pas moins un phare unique. Née à Venise, mariée à 15 ans à un français, elle est rapidement veuve (1387) et donc relativement libre. C’est par la suite grâce à sa rare érudition et par ses écrits que Christine gagne sa vie à partir de 1399, devenant une des premières femmes à vivre de sa plume. Prenant part à l’orée du XVe siècle à la « querelle des femmes », elle n’hésite pas à attaquer de grands hommes. Dans ce débat très masculin sur la condition des femmes, l’autrice – un mot que l’Académie a fait disparaître – apporte une voix dissonante. En effet, elle s’appuie sur les vies de femmes du passé dans son oeuvre majeure de 1405, La Cité des Dames, mettant en place ce qu’elle appelle un « matrimoigne ».

Parodiant les récits du fin’amor, de l’amour courtois, pour mieux en dénoncer les codes misogynes (Epistre au dieu d’Amours, 1399), critiquant sans vergogne les auteurs du Rommant de la Rose, mettant en cause le sexisme des autorités (masculines) de l’époque, on comprend aisément pourquoi Christine de Pizan est qualifiée par les historien.nes de préféministe.

Christine de Pizan ose le préféminisme !

Pour « défendre l’honneur du sexe féminin », Christine de Pisan ose : « Qu’on ne m’accuse pas de déraison, d’arrogance ou de présomption, d’oser, moi femme, m’opposer et répliquer à un auteur aussi subtil… ». A tel point qu’elle est vue comme une « insignes femina, virilis femina », femme remarquable, femme virile, elle-même se demandera si par sa « moye transmutacion », elle ne serait pas « devenue une homme véritable ». A l’image d’une Jeanne d’Arc sur qui elle a écrit, elle a eu le courage de faire ce que très peu de femmes faisaient, et écrire (même sur les femmes !) restait une activité d’hommes. C’est pour toutes les femmes que Christine de Pizan écrira ensuite Le Livre des trois vertus, ouvrage pédagogique dans lequel elle valorise les vertus dites féminines, en premier lieu la prudence. De plus, par ses ouvrages religieux et politiques de la fin de sa vie, elle veut attirer l’attention sur les souffrances subies par les peuples, en particulier le peuple des femmes.

Dans les années 1880, la première femme à utiliser le terme « féminisme », Hubertine Auclert, avait ce mot d’ordre, « Oser, Résister ». Comme Christine de Pizan et comme Hubertine Auclert, Osez le féminisme ! rendait femmage – un mot de Typhaine D que l’Académie voudra sûrement supprimer un jour ! – à Jeanne d’Arc aux premières journées du matrimoine… et continue sans relâche à résister au patriarcat !

Jean-Marie Coquard

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