Le Grenelle des violences conjugales

Le 30 décembre dernier, en Corrèze, une mère de deux enfants, fut la dernière et 150ème femme assassinée en 2019 par son compagnon (recensé dans les médias par Féminicides par (ex-)conjoint). C’est en cette année 2019 de prise de conscience de la société de la réalité des féminicides (dont Osez le Féminisme! réclame la reconnaissance depuis 2015) qu’un Grenelle contre les violences conjugales a été organisé par le gouvernement.

60 propositions ont été annoncées le 25 novembre, lors de la Journée pour l’élimination de la violence contre les femmes. Parmi celles-ci des mesures phares comme la réquisitionner les armes à feu dès la première plainte, les armes à feu étant les armes les plus utilisées pour les féminicides, l’inscription des violences psychologiques dans la loi ainsi que le retrait de l’autorité parentale des pères féminicides. Ces propositions ont été faites seulement deux jours après la marche contre les violences sexistes et sexuelles, qui a réuni près de 150 000 personnes en France, une mobilisation qui était très attendue par toutes celles et ceux qui ne veulent « plus compter leurs mortes».

«Attends un peu avant de mourir »

Après deux mois de délibérations et de concertations, le gouvernement a finalement clôturé le Grenelle sur des annonces plutôt décevantes. Il va falloir que les femmes en danger soient patientes, car pour le moment,
pour les aider, seule une grille d’évaluation du danger a été envoyée aux commissariats. Pour les mille places d’hébergement d’urgence, il leur faudra attendre plus tard en 2020. Ceci porterait le nombre total de places à 5000, alors que les besoins nécessaires sont estimés par le Haut Comité à l’égalité de 16000 à 38000 places. Et si effectivement, la suspension de l’autorité parentale en cas de féminicide est une bonne chose, que faisons nous des vivantes ? L’annonce de la possibilité de l’aménagement ou de la suspension de l’autorité parentale en cas de violences, ce n’est pas une nouveauté : c’est possible dans le cadre d’une ordonnance de protection depuis juillet 2019, mais pas ou peu utilisée par les tribunaux (3332/ an en France contre 39176 en Espagne).

Des mesures déjà existantes, déguisées et présentées comme des nouveautés

Parmi les annonces faites par Edouard Philippe, figure aussi la formation des enseignant.es aux violences sexistes et sexuelles. Cependant, elle est inscrite dans la loi depuis 2010, mais n’a jamais été mise en oeuvre, alors même que l’égalité femmes-hommes était présentée comme une priorité. Même constat pour l’interdiction pour les juges de proposer une médiation en cas de violences dans un couple, qui existait dans la loi depuis 2014. S’il y a eu violences, il n’y a plus aucune médiation acceptable et le juge est donc complice quand il la permet. Ces mesures ont-elles été proposées pour endormir les Français·es ? C’est en tout cas ce que l’on est en droit de se demander à la lecture de ces annonces, d’autant plus qu’elles font suite à plusieurs mesures jugées « poudre aux yeux » par les militantes féministes. Des mesures irréalisables au vu du budget transversal de 78 millions d’euros attribué à la lutte contre les violences masculines (source rapport Haut Conseil à l’égalité et Fondation des Femmes), au lieu du milliard indispensable.

L’herbe est plus verte ailleurs

On présente régulièrement l’Espagne comme un exemple en matière de lutte contre les violences envers les femmes. En effet les député.es espagnol.es ont voté dès 2004 à l’unanimité la loi de protection intégrale contre les violences de genre. Cette loi apportait plusieurs mesures comme le suivi informatique, la protection des victimes, le bracelet anti-rapprochement, et surtout la spécialisation des tribunaux. À Madrid, il existe aussi 380 policiers spécialisés appelés les ”agents protecteurs”, qui sont assignés à chaque femme victime de violences. Cette mesure permet aux policiers de mieux connaître l’histoire de chaque femme, ce qui crée un réel lien de confiance. À la lecture de ces lignes, vous prenez conscience du retard de la France ? En 2018, l’Espagne dénombrait 50 féminicides, la France 121…

Anne Ronco