50 nuances de Grey : film ou torture ?

« 50 nuances de sombre », la suite de « 50 nuances de Grey », est sorti hier dans les salles de cinéma, pour notre plus grand effroi. Effroi devant cette apologie des violences sexuelles, de la mise sous emprise d’une jeune femme que l’agresseur tente de déshumaniser et vis à vis de laquelle il cherche à inverser la honte et la culpabilité. Le parfait manuel du coupable de viol ou d’agression sexuelle.. BOYCOTTONS cette horreur !

Et pour bien décrypter le phénomène, nous avons traduit ci-dessous cet article de Gail Dines,  brillante féministe américaine et professeure de sociologie et d’études de genre à l’université de BOSTON, et instigatrice du boycott du film #50dollarsnot50shades.

 

La dernière fois que deux heures de ma vie m’ont paru si longues, c’était pendant mon accouchement. Subissais-je un traitement du canal radiculaire sans anesthésie ? Une amputation ? Non. Je subissais l’atroce Cinquante Nuances de Grey. Bon, je ne m’attendais pas à un film génial. Après tout, j’avais lu toute la trilogie, construite autour des violentes scènes de sexe qui la parsèment. J’avais dévoré les critiques du film qui pointaient du doigt les dialogues guindés, le mauvais jeu des acteurs, et le manque d’alchimie entre le « héros », Christian Grey, et son infortunée héroïne, Anastasia Steele. J’étais donc préparée à voir un mauvais film, qui allait faire enrager n’importe quelle féministe par la manière dont Grey manipule et contrôle les femmes.

Mais je n’étais pas préparée à ce que le comportement prédateur du Grey livresque soit pire en images. Le papier donne aux lecteurs une marge de manœuvre pour projeter fantasmes, envies ou désirs sur les personnages. En revanche – c’est une thèse récurrente des spécialistes médias – les visuels ont tendance à être plus impérieux, à cerner davantage les téléspectateurs.trices. Impuissant.e.s, ils/elles ne peuvent plus « jouer » avec le texte – et ses sous-entendus – qui souligne l’intrigue, les personnages, et l’arc narratif.

Assise dans le cinéma bondé lors de la première, entourée de jeunes femmes sirotant des cocktails (oui, des cocktails étaient servis pendant la projection), je rassemblais mes forces dans l’attente de scènes qui allaient érotiser et glorifier la violence envers les femmes. (En toute transparence : en tant qu’instigatrice du boycott #50dollarsnot50shades (50 dollars pas 50 nuances), je suis passée outre mon propre boycott, me repentant par un don de 100 dollars à un centre d’hébergement pour les victimes de violences domestiques). Pourtant, rien ne m’avait préparée pour cette violence à l’écran.

Ce n’était pas simplement un film contenant des violences sexuelles. C’était un film qui peignait, dans des détails insoutenables, l’art et la manière d’appâter une enfant solitaire et isolée à « consentir » à des violences sexuelles. L’Ana du livre est une étudiante qui a presque fini la fac, mais on dirait une ado, avec ses « bon sang », son ignorance de son corps et de sa sexualité, sa maladresse.

Ce qui est suggéré dans le livre devient sinistre sur l’écran, et au lieu d’une adolescente, c’est une enfant pathétique qui mendie des miettes d’amour et d’attention à d’un homme bien plus âgé, bien plus expérimenté, qui semble avoir appris par cœur le petit livre de l’apprenti pédo-criminel. Et à côté, Dakota Johnson joue une Ana enfantine, naïve, peu sophistiquée, dont l’innocence brise le cœur.

Selon la psychologue Anna Salter, experte de premier plan sur les prédateurs, « Les techniques de conditionnement sont souvent similaires d’un délinquant sexuel à un autre, en grande partie parce qu’il est vite évident que la manière la plus efficace de manipuler un enfant, c’est par la séduction émotionnelle ». Si on retire à Christian ses fringues chic, son jet privé et ses voitures hors de prix, il ne reste qu’un prédateur typique, qui sait exactement comment se frayer un chemin dans le monde émotionnel d’une enfant privée d’amour.

Il fait une fixation sur Ana dès qu’il pose les yeux sur elle, parce qu’elle exsude de vulnérabilité, d’immaturité, et de solitude. Suivant à la lettre le petit livre du prédateur, Grey prétend s’intéresser à elle, la couvre de cadeaux, lui révèle ses sombres secrets, la traque chez elle et au travail (et même quand elle rend visite à ses parents), et la surprend avec des vols en hélicoptère. Tout cela en l’étudiant soigneusement, cherchant à exploiter ses points faibles. Puis, il lui donne le coup de grâce.

Pour le prédateur, cela signifie attacher émotionnellement sa proie. Grey sait ce qu’il fait, et il sait quand frapper. Ana meurt d’envie d’une expérience sexuelle intime car – tenez-vous bien – elle est vierge. Jusque-là, Grey lui a dit et répété que son truc, ce n’est pas la romance, mais « baiser… brutalement ». Pourtant, quand il se rend compte qu’il a touché le jackpot, il joue de la romance, ils font l’amour passionnément, Ana se pâme. Maintenant qu’il la tient fermement au creux de sa main, il en tire tout ce qu’il peut.

Les scènes de sexes qui suivent nous montrent ce qu’il veut vraiment dire par « baiser… brutalement ». Fouets, cordes, chaînes, et pénétration agressive remplacent les baisers et l’intimité. Ana est bercée doucement dans l’acceptation par la promesse d’un rendez-vous galant ou d’un dîner élégant, en échange de sa soumission au sadisme sexuel. En un rien de temps, Ana est la proie parfaite : gémissante, elle passe en un moment des orgasmes multiples à pleurer au téléphone avec sa mère, négligente, qui ne comprend rien à ce qui lui arrive. Et puis, plus d’orgasmes, plus de pleurs, plus de violence : on est dans une torture, un cauchemar digne de Un jour sans fin.

Bien que les scènes les plus violentes du livre aient été écartées du film (probablement parce que tous les maillons dans la chaîne du profit comprenaient jusqu’où ils pouvaient pousser le bouchon avant que les fans ne s’enfuient du cinéma en hurlant), le film est bien plus perturbant que le livre. Observer un prédateur chevronné jouer avec sa proie immature sur grand écran, sans pouvoir sauter les pages les plus violentes, sans pouvoir projeter sa propre image de Christian Grey sur l’acteur Jamie Dornan… ça laisse une boule au fond du ventre que les cocktails ne font pas passer.

Que tous les lecteurs, avant de se dire que je suis une féministe complètement tarée qui se casse un peu trop la tête, arrêtez-vous et pensez à une fille. Une fille que vous connaissez, que vous aimez. Imaginez ce que vous espérez pour elle, pour son futur.

Je vous parie que ce n’est pas Christian Grey qui vous vient à l’esprit.

Gail Dines, 18/02/2015

Traduit par Eva, 09/02/2017.

Merci à Gail Dines de nous avoir autorisé à traduire son article original 

http://www.feministcurrent.com/2015/02/18/review-watching-50-shades-of-grey-is-torture/

et plus d’infos sur https://www.facebook.com/50dollarsnotfiftyshades

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